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« L’intelligence artificielle a besoin d’être réglementée si les petites entreprises ne veulent pas être écrasées »
Comment développer l’intelligence artificielle française et à quels obstacles doit-elle se confronter ? Retour sur la table ronde organisée à l’OCDE lors de la Conférence de Paris, le 7 décembre 2017.
Pour rester une grande puissance, la France doit développer ses compétences en matière d’intelligence artificielle (IA). « L’IA touche aujourd’hui l’ensemble du numérique et est en train de changer le monde de l’entreprise » constate Alexandre Zapolsky, cofondateur de Linagora, spécialisée dans les logiciels Open Source. Jean-François Gagné, PDG de la société montréalaise Élément Al qui aide les entreprises à intégrer les nouveautés de l’IA, prévient, lui aussi, que le développement de cette technologie entraînera une « concentration de pouvoir qui sera 100 fois pire que la domination des 1 % d’aujourd’hui. Le monde change, on ne le croit pas et, dans la majorité des cas, on ne comprend rien. » Tous deux étaient invités à échanger sur la révolution de l’IA lors d’une table ronde organisée lors de la Conférence de Paris, au siège de l’OCDE. Ils partagent la même vision internationale de l’IA : une technologie qui évolue vite et qu’il faut maîtriser pour rester compétitif. Avec 250 startups qui travaillent sur le sujet, la France doit absolument développer l’IA et se retrouve face à trois grands défis : réglementer l’innovation sans la limiter, se faire une place face à de grands concurrents comme la Chine ou les États-Unis et convaincre ses talents de ne pas s’expatrier.
Une mission IA initiée par Emmanuel Macron
« L’IA a besoin d’être réglementée si les petites entreprises ne veulent pas être écrasées » avertit Alexandre Zapolsky. C’est justement dans ce sens que travaille la France. Emmanuel Macron a confié une mission, depuis septembre 2017, au député de l’Essonne et mathématicien Cédric Villani. Elle fait suite à l’initiative France IA lancée de janvier à mars 2017 sous la présidence de François Hollande, qui avait permis d’émettre 50 recommandations. Mais pour le secrétaire d’État chargé du numérique, Mounir Mahjoubi, « ces conclusions ne permettaient pas de définir une stratégie nationale sur le sujet et cela nécessitait que le gouvernement remobilise une mission ». Cédric Villani entend donc « proposer des actions concrètes » pour développer et mieux maîtriser l’IA, tout en la conciliant avec la protection des données personnelles. Afin de compléter ses travaux, une consultation publique a été lancée le 6 décembre. Chacun peut y inscrire ses bonnes idées jusqu’au 6 janvier, « afin d’entraîner toute la société vers le haut » selon l’intéressé, qui devra rendre ses propositions finales en janvier 2018.
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La concurrence des GAFAs chinois et Américains
Mais à en croire Jean-François Gagné, les choses ne seront pas aussi simples. Selon lui, l’Europe « n’a pas intérêt à ce que les GAFAs et les BATX (GAFAs chinoises) soient les seuls capables de développer l’IA. » Et pourtant, les États-Unis et la Chine sont tous deux très avancés et y investissent des dizaines de milliards de dollars. Cédric Villani est conscient qu’« il faut aller très vite parce que la course est lancée. Il ne faut pas agir trop vite non plus, parce que si on se précipite, on risque de (…) faire des choix qui pourraient ne pas être les bons ». Comme il le constate, « les grands acteurs privés ont déjà leur stratégie en place depuis des années ». En Chine, un plan de développement national de l’IA doit d’ailleurs faire passer le poids économique du pays de 22,15 milliards de dollars à l‘horizon 2020 à 59,07 milliards de dollars en 2025. Il est donc urgent pour les sociétés françaises d’intégrer l’IA dans leurs usages. Comme l’affirme le mathématicien : « la complémentarité homme/machine est source de développement économique ».
Éviter la fuite des talents
Pour atteindre ce but, les entreprises françaises ont besoin d’experts qui préfèrent, pour le moment, vendre leurs compétences aux pays voisins. « Nous manquons de mathématiciens et d’ingénieurs spécialisés en mathématiques. Nos talents sont aussi trop souvent aspirés par des entreprises ou laboratoires publics étrangers » s’attriste Cédric Villani. La faute est en grande partie aux « lourdeurs administratives » du secteur de la recherche et du développement (R & D). Une situation que déplore aussi Alexandre Zapolsky : « Les algorithmes utilisés par les GAFAs, sont créés par des français. On envoie nos meilleurs informaticiens dans la silicon Valley. Il faut trouver un moyen en France de développer la R&D pour les startups et c’est actuellement en train de changer. » C’est tout du moins l’ambition de cette mission qui veut « offrir un environnement de travail digne d’eux aux chercheurs en IA pour les faire revenir et attirer les chercheurs étrangers » et « offrir aux entrepreneurs un écosystème plus favorable à la création d’entreprises » envisage Cédric Villani.
La révolution française de l’IA est donc en marche et son développement marquera 2018, « l’année où on va faire des choses sur l’intelligence artificielle » rassure Mounir Mahjoubi.
Melissa Carles
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