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Vendre aux grands comptes quand on est une PME
Quand on est une petite entreprise, réussir à vendre ses produits ou services à des grands groupes constitue à la fois un objectif séduisant et une expérience difficile. Comment intéresser les grands comptes ? Quels sont les éléments à prendre en compte pour les séduire ? C’est sur ces points que le Club Challenge + d’HEC s’est penché, à l’occasion d’une conférence.
Un formidable accélérateur de chiffre d’affaires. C’est ainsi que l’on pourrait résumer le fait pour une TPE ou une PME de parvenir à vendre ses produits ou ses services à un grand groupe.
Georges Liberman, fondateur de Xiring, un éditeur de solutions de sécurité racheté depuis peu par le groupe Ingenico, ne dit pas autre chose. Cet entrepreneur a conclu, il y a quelques années, ses premiers contrats avec de grands comptes. Et outre le montant des marchés conclus, il y a trouvé un autre avantage : « un grand compte, cela signifie très souvent de nombreux compléments de business possibles, donc l’opportunité de construire une relation commerciale sur le long terme ».
Booster son CA de manière durable, c’est bien entendu le premier argument qui peut toucher un chef d’entreprise. Mais ce n’est pas le seul. « C’est aussi un label de crédibilité, observe Georges Liberman. Cela démontre à tous vos interlocuteurs prospects ou investisseurs que ce que vous faites est bon. Car, c’est bien connu, note-t-il non sans ironie, les grands comptes ne se trompent jamais ! ».
Pour autant, si l’objectif est des plus séduisants, le chemin pour parvenir jusqu’aux grands groupes n’a rien d’une promenade de santé. « Vendre aux grands comptes quand on est une petite entreprise, ce n’est pas facile, mais quand il s’agit, en plus, de vendre de l’innovation, c’est encore plus compliqué », témoigne d’ailleurs Philippe Berna, PDG de Kayentis et Président du Comité Richelieu, une organisation qui promeut les entreprises innovantes.
Cet entrepreneur parle en connaissance de cause. Sa société, qui a été dans un premier temps incubée par Hewlett Packard, propose une solution de dématérialisation de l’écriture manuscrite. « Si j’avais créé tout seul mon entreprise, je ne sais même pas si j’aurais réussi à vendre mon produit », estime-t-il avec le recul.
Etienne Krieger, Président du club Challenge + d’HEC résume ainsi la situation : « il y a une incompréhension fréquente entre ces deux univers : celui de la start-up et celui des grands comptes, qu’ils soient privés ou publics. » Qui se traduit, pour les seconds, par une méfiance innée.
Pourquoi un tel barrage ? Pour Georges Liberman, l’explication est simple : « pour les grosses structures, travailler avec des petites entreprises, c’est prendre des risques ! ».
Pour cette PME qui compte parmi ses clients la SNCF, la RATP, ou encore de grandes banques françaises, les risques envisagés par ces acteurs sont multiples :
- Techniques : une petite entreprise peut ne pas appliquer correctement les règles du jeu, ne pas maîtriser complètement les technologies, avoir une capacité d’évolution réduite…
- Financiers : niveau d’endettement, capacité d’auto-financement, problème de la continuité de l’activité d’une structure dont on ignore si elle existera encore dans cinq ans… la méfiance des grands groupes sur ce sujet est forte. La preuve ? « A partir du moment où l’on a été cotés sur un marché financier, toutes les questions sur la sécurité financière ont disparu », témoigne Georges Liberman.
- Règlementaires : chaque secteur est soumis à ses contraintes auxquelles une petite entreprise peut avoir du mal à se soumettre.
- Juridiques : que se passera-t-il, par exemple, si la société connaît un changement de contrôle ? Sans parler de la crainte d’un déséquilibre contractuel qui pourrait se retourner contre celui qui pourrait être considéré comme le plus fort des deux…
- Relationnel : la PME peut être considérée comme un élément perturbateur dans une organisation ultra-structurée : elle a tendance à s’adresser à tout le monde, sans considération des niveaux hiérarchiques.
La première des difficultés, dans ce parcours qui peut faire penser à celui du combattant, est avant tout de convaincre le tout premier grand compte. Obtenir sa première référence, c’est comme pour un jeune diplômé, décrocher son premier emploi : les employeurs lui reprochent de ne pas avoir d’expérience, tout en refusant d’être celui qui lui mettra le pied à l’étrier…
« Obtenir sa première référence, c’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf », confirme Philippe Berna de Kayentis. Lui a eu la chance d’être incubé par un grand nom de l’informatique. Il n’a pas tout de suite vendu à un grand compte, mais a décroché un client prestigieux : l’Elysée. « J’avais un gros logo Hewlett Packard sur le front », reconnaît-il.
Mais quand on ne bénéficie pas d’un tel « parrain », comment faire ? Pour le Président du Comité Richelieu, « déjà, il est impératif d’avoir un réseau personnel, de le travailler et de l’enrichir régulièrement ».
Ensuite, il faut savoir donner un gage en échange de la prise de risque. Par exemple, revoir très sérieusement à la baisse ses tarifs… Un mal pour un bien : « Une fois que j’ai décroché cette première référence, mon client m’a fait rencontrer d’autres contacts à qui j’ai vendu ma solution à des conditions tout à fait acceptables. »
Surtout, il convient de s’armer de patience car vendre à un grand compte, c’est long : « il y a souvent dix personnes qui interviennent dans la chaîne de décision et votre interlocuteur principal du début est rarement celui de la fin », souligne Philippe Berna.
Une fois le rendez-vous décroché, il va falloir vendre son entreprise , son produit ou son service. C’est le moment ou jamais de faire preuve de détermination : « Vous avez trois minutes pour convaincre votre interlocuteur. Ensuite, c’est fini », prévient Philippe Berna.
Il convient naturellement de mettre ses points forts en avant : « Ce n’est pas parce qu’on est petits qu’on n’est pas bons. La question est finalement de savoir si on est un poney ou un poulain amené à devenir un grand champion ! », encourage l’ex-dirigeant de Kayentis.
Au-delà d’une produit ou d’un service, voire d’une innovation, il est essentiel d’apporter un service aux grands comptes. L’idée ? Leur simplifier la vie : « On ne vend pas forcément parce qu’on a le meilleur produit, mais parce qu’on répond à leurs problèmes. C’est surtout le cas dans le secteur des technologies innovantes : si on apporte trop de nouveautés, ils vont rapidement faire la liste de tous les ennuis que ça va leur apporter », avertit Georges Liberman.
Il convient donc de rechercher la valeur ajoutée pertinente, donc de bien connaître les problématiques métiers. « Parfois, c’est un détail qui fera la différence ». Pour ce faire, il s’avère souvent primordial d’aller directement voir les utilisateurs de la solution que vous proposez et non pas seulement l’acheteur. Car « bien souvent, celui-ci ne connaît pas la réalité du terrain ».
Autre cheval de bataille de la petite entreprise : déminer le terrain, combattre les idées fausses. « Certains grands groupes pensent que s’ils pèsent trop pour une PME et que si celle-ci vient à connaître des difficultés, il seront obligés de la soutenir financièrement ou, si elles dépose le bilan, qu’ils devront reprendre ses salariés. » Une idée reçue contre laquelle le Comité Richelieu s’efforce de combattre auprès de ses membres.
Les petites entreprises ont bien entendu des cartes à jouer. Par exemple, celle de la différenciation : innovation technologique, adaptation aux besoins du client, voire service d’accompagnement qui constitue parfois la réponse au vrai problème d’un grand groupe soucieux de la conduite du changement qu’une innovation peut entraîner par exemple.
Cette carte de la différenciation constitue un atout, mais attention, elle n’est pas, à elle seule, une carte maîtresse : « ça ne sera pas le premier facteur de choix d’un grand compte », prévient Georges Liberman.
Le premier et constant réflexe d’une PME doit être de tranquilliser son partenaire potentiel. « Il faut le rassurer sur le risque que vous représentez, montrer que vous le maîtrisez », explique Georges Liberman. Vous devez ainsi être capable de répondre précisément à des questions telles que : « Que se passe-t-il s’il y a le feu dans votre entreprise ? » ou « si l’homme-clé se retrouve dans l’impossibilité de travailler (accident, maladie, décès), comment assurerez-vous la continuité du business ? ».
Bien entendu, ces questions seront précédées et suivies de beaucoup d’autres. Au premier rang desquelles, si vous proposez une solution innovante :
- Est-ce que ça marche ?
- Chez qui ça marche ?
- Qu’est-ce qu’ils en disent ?
Sans oublier, quel que soit votre secteur, l’inquiétude omniprésente concernant l’effectif de votre entreprise…
De quoi partir perdant ? Non, selon le PDG de Kayentis, car « si on vous pose ces questions, c’est la preuve que l’affaire ne s’engage pas trop mal… ! »
Proposer des contre-mesures aux risques que vous représentez, voilà la solution ! Certains éléments peuvent ainsi constituer de véritables sésames. Une certification, par exemple, est un gage de qualité pris très au sérieux.
A l’inverse, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la compétitivité de l’offre d’une PME ne passe pas forcément par des tarifs moins chers que tous ses concurrents. Pour Georges Liberman, ce qui importe, c’est d’avoir un positionnement qualité-prix cohérent.
Attention aussi à ne pas faire l’impasse sur le volet marketing de votre offre. « Nous avons fait énormément de communication », se souvient Georges Liberman. Nous avons couru après les prix de l’innovation qui nous ont permis d’avoir des relais dans la presse, de faire du buzz ». Une solution qui présente l’avantage de ne pas coûter cher, mais qui nécessite un investissement temps conséquent.
Pourquoi accorder du temps dans ce que l’on pourrait considérer comme accessoire ? Tout simplement parce que cela crée de la légitimité, qui constitue malheureusement un des points faibles des PME…
Autre élément qui a son importance pour un grand compte : l’attitude. Il faut penser à se comporter comme lui, adopter ses règles. Cela passe, notamment, par une organisation commerciale structurée de la même manière, selon Georges Liberman. Ce dernier relève une erreur classique du chef d’entreprise : vouloir systématiquement apparaître au premier rang : « le patron d’une PME qui se déplace tout le temps, ça ne rassure pas ! Vous ne verrez jamais un patron de grand groupe à une négociation commerciale ! Ce n’est pas forcément le bon message. Il vaut mieux présenter une organisation structurée avec des commerciaux, des techniciens, que l’entreprise ne se limite pas à une personne. »
« C’est à ce prix que vous réussirez des deals gagnant-gagnant avec les grands comptes », conclut le Président du Club Challenge +.
Nelly Lambert
Rédaction de NetPME
redaction@netpme.fr
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