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Accès des TPE/PME à la commande publique : le changement, c’est maintenant ?
La faible part des TPE/PME dans la commande publique persiste malgré l’effort consenti par le gouvernement ces dernières années pour démocratiser les appels d’offres. Jeudi 28 mars, plusieurs acteurs du secteur invités par l’AJPME se sont penchés sur la nature d’un problème qui s’obstine.
Alors que le Code de la commande publique entre en scène, Xavier Boivert (Breizh Small Business Act), Frédéric Grivot (CPME), Pierre Pelouzet (Médiateur des entreprises) et Olivier Barbier-Mailllot (Abena-Frantex) expliquent en coulisse pourquoi les TPE/PME boudent encore les marchés publics. Si cela n’est pas nouveau, l’élan insufflé par les diverses lois et ordonnances de ces dernières années aurait pu (dû ?) secouer le cocotier. Or, entre 2014 et 2017, la part des TPE/PME dans la commande publique est passée de 62 à 57,5 % en nombre de contrats et de 33 à 29,4 % en montants. L’enjeu pèse pourtant près de 200 Md€ par an. Pourquoi la récente mutation de la commande publique en faveur des TPE/PME peine à produire ses effets ?
Commande publique et TPE/PME : des délais de paiements qui collent à la peau
Les délais de paiement cristallisent les problèmes de trésorerie des TPE/PME qui s’engagent dans la commande publique. « Monsieur, vous attendrez, la liste est longue », entend encore raisonner Olivier Barbier-Maillot, P.DG d’Abena-Frantex, PME spécialiste de l’usage unique et comptant plus de 160 collaborateurs. Voici entre autres ce qui l’a convaincu de quitter le navire de la commande publique, lui qui contractait jadis avec les hôpitaux publics. « Parfois 9 mois de retard, parfois pas de paiement du tout », se remémore-t-il, amer. Les mains liées (dépendant des paiements tardifs à hauteur de 70 % du CA), le chef d’entreprise s’est tourné vers le marché privé (8 % de CA pour plus de 4 500 clients) et multiplie désormais les contrats avec les cliniques ou les Ephad. « La trésorerie est supérieure à ta vie », se répétait-il à l’époque.
Les délais de paiements ne sont plus la norme
Pourtant, Frédéric Grivot, vice-président de la CPME, constate un certain nombre d’améliorations. S’il concède que les retards étaient légion par le passé, qu’il existe encore des accidents de paiement aujourd’hui, « cela ne saurait être la norme ». Il s’accorde avec Pierre Pelouzet pour davantage jeter l’opprobre sur l’image péjorative des marchés publics. En effet, selon eux, la situation actuelle se serait considérablement améliorée.
Toutefois, on constate aujourd’hui une recrudescence des retards depuis décembre 2018. La moyenne est de 12 jours de retard, soit 72 jours à partir de la date d’envoi de la facture pour le privé et 42 jours à partir de l’enregistrement de la facture pour le public. C’est pourquoi le combat continue : la médiation d’entreprise propose par exemple ses services pour les litiges à l’origine des blocages d’une facture. Elle publie à cet égard un baromètre trimestriel « blocage de factures » qui a vocation à mettre en lumière les difficultés des TPE/PME à obtenir leur paiement.
En outre et de manière générale, plusieurs mesures ont été prises en faveur des trésoreries des TPE/PME. Parmi elles, l’augmentation des avances (les titulaires et les sous-traitants du marché en paiement direct disposent d’une avance minimale de 20 % au lieu de 5 % pour les marchés des TPE/PME signés avec l’État), la diminution de la retenue de garantie (de 5 à 3 % pour les marchés des TPE/PME signés avec l’État) ou encore l‘obligation pour un titulaire d’un marché de partenariat de confier aux TPE/PME au moins 10 % du montant prévisionnel du marché.
Le projet de loi PACTE prévoit également la suppression des ordres de services à zéro euro (mauvaise pratique des acheteurs qui consiste à ne pas rémunérer une prestation non prévue au contrat) ou encore « l’affacturage inversé collaboratif » qui permettra de soulager les TPE/PME. La trésorerie et les délais de paiement, pierres d’achoppement de la défiance des petites entreprises envers les marchés publics, exigent cependant une refonte globale du système. Il est donc urgent de défricher la commande publique pour les petites entreprises.
La commande publique enfin défrichée pour les TPE/PME ?
L’entrée en vigueur du Code de la commande publique ce 1er avril parachève une longue série de réformes qui simplifient l’accès des TPE/PME aux marchés publics. « J’espère que ça va changer quelque chose », déclare à cet égard Xavier Boivert, président de l’association Breizh SBA et directeur des services d’une commune bretonne. La dématérialisation a permis l’émergence de nouveaux dispositifs comme le « marché public simplifié » (MPS) ou le Document Unique de Marché Européen (DUME). Le premier permet à une TPE/PME de répondre à un appel d’offre avec son seul numéro SIRET. Le second contient tous les éléments requis pour candidater à un marché.
Cependant, « la numérisation nécessite une adaptation », rappelle Frédéric Grivot. Ce dernier pointe du doigt les difficultés de préhension de Chorus Pro (logiciel de la facture dématérialisée obligatoire pour les titulaires d’un marché). Xavier Boivert regrette du côté des directeurs financiers « le doublement voire le triplement des canaux pour avoir la facture » induits par la numérisation et sa prise en main hasardeuse. Enfin, Pierre Pelouzet concède l’existence d’un « gap à franchir pour le numérique ».
Casser l’état de fait, les carcans et les craintes des petites entreprises
Aussi, face à la dominance des grandes entreprises et contre la massification des achats, différents mécanismes ont vu le jour. Par exemple, l’allotissement permet de décomposer un marché en plusieurs lots. Le groupement d’entreprise unit quant à lui plusieurs TPE/PME pour répondre à un même marché. Enfin, la pratique du sourcing consacre les échanges entre acheteurs et entreprises avant la mise en concurrence sur un marché.
Cependant, là aussi un effort de simplification doit être conduit pour passer de la théorie à la pratique. Le Médiateur d’entreprise appelle à « un découpage intelligent du marché pour favoriser l’accès aux petites structures ». Frédéric Grivot souhaite que Chorus Pro soit adapté à l’allotissement et aux groupements d’entreprise. Xavier Boivert regrette le flop du sourcing, lui qui œuvre pour la « valorisation des savoir-faire locaux » et insiste sur le « calibrage local ». Et pour cause : les TPE/PME bretonnes dans l’agro-alimentaire n’accèdent pas au marché de l’agro-alimentaire de la région.
Surtout, la démocratisation de la commande publique passera par un échange permanent entre les acteurs du secteur, acheteurs et entreprises. Au cœur de cette action, l’association le Lab Pareto qui a lancé l’expérience « Vis ma vie ». Elle permet à un directeur achats et un patron de TPE/PME de se rencontrer le temps d’une journée. Même son de cloche pour la CPME qui veut que des formations soient dispensées pour défricher le terrain du côté des entreprises. Un guide pratique spécial TPE/PME concocté par le Médiateur des entreprises est à paraître dans les jours qui viennent. C’est ainsi qu’il sera possible de « casser l’état de fait, les carcans et les craintes des petites entreprises », espère Olivier Barbier-Mailllot.
Matthieu Barry
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