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Pacte d'actionnaires, sachez le négocier !
Négocier un pacte d'actionnaire n'est pas une mince affaire. Si certaines clauses sont classiques et ne posent pas de difficultés particulières, certaines méritent d'être négociées et quelques-unes unes doivent être, dans la mesure du possible, refusées. Décryptage des principales clauses d'un pacte d'actionnaires.
En complément des statuts de la société, le pacte d’actionnaires (dans une SA) et le pacte d’associés (dans une SARL ou une SAS) sont des instruments très utiles pour organiser les relations entre les différents associés d’une société. Par exemple, lors de l’entrée d’investisseurs au capital de la société, il sera souvent demandé aux dirigeants et actionnaires majoritaires de souscrire un certain nombre d’engagements en signant avec les investisseurs un pacte d’actionnaires.
Même lorsque l’accueil d’un nouveau partenaire (notamment financier) est attendu avec impatience, l’actionnaire qui se voit proposer un pacte d’actionnaires ne doit pas le signer les yeux fermés :
- si certaines clauses sont classiques et ne posent pas de difficultés particulières,
- d’autres méritent d’être négociées ;
- et quelques-unes unes doivent être (dans la mesure du possible et selon le rapport de force existant au moment de la négociation) refusées.
Malgré la diversité des rédactions retenues par les praticiens, il est possible de classer les clauses des pactes d’actionnaires en deux grandes catégories, à savoir celles qui sont relatives au capital et celles qui organisent la gouvernance de la société. Nous vous proposons ci-dessous une description de ces clauses, accompagnée de quelques conseils à l’attention des dirigeants ou des actionnaires sur l’attitude qu’il convient d’adopter lorsqu’il leur est demandé de signer un pacte d’actionnaires.
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Par mesure de simplification et pour éclairer ces développements, nous prendrons l’hypothèse selon laquelle une personne, que nous appellerons « Monsieur Fondateur », accueille dans le capital de sa société un groupe d’investisseurs : les investisseurs acceptent d’apporter des fonds à la société en souscrivant au capital de celle-ci, à la condition que Monsieur Fondateur signe le pacte d’actionnaires qui lui est présenté. Quelles sont les clauses sur lesquelles Monsieur Fondateur doit être particulièrement vigilant ?
La clause de préemption
La stipulation d’une clause de préemption permet à son bénéficiaire de la clause d’acquérir, par préférence à toute autre personne, les actions (ou, selon la forme sociale, les parts sociales) dont un associé souhaiterait se défaire. La clause de préemption offre donc la faculté à son bénéficiaire d’augmenter sa participation actuelle dans la société en se portant acquéreur des actions en passe d’être cédées.
Cette clause est très classique et peut facilement être acceptée. Monsieur Fondateur doit toutefois vérifier :
- qu’elle n’est pas réservée aux investisseurs et qu’il pourra également en bénéficier, si l’occasion se présente,
- qu’un rang de priorité n’est pas stipulé de sorte qu’il ne pourrait en bénéficier que si les investisseurs ont, au préalable, renoncé à leur propre droit de préemption.
Pour plus de détails sur cette clause, vous pouvez consulter la fiche pratique sur la clause de préemption.
La clause d’agrément
Le but d’une clause d’agrément est d’éviter l’intrusion non consentie d’un tiers dans le cercle des associés d’une société. En application de cette clause, l’associé qui souhaite céder ses actions (ou, le cas échéant, ses parts sociales) devra obtenir, préalablement à la cession, l’agrément de la société.
Cette clause est également très classique et Monsieur Fondateur pourra avoir à son égard la même attitude que pour la clause de préemption. Une attention particulière doit être toutefois portée par Monsieur Fondateur sur les conditions de l’agrément (et notamment sur la majorité requise), afin d’éviter que l’agrément puisse être octroyé par les seuls investisseurs.
Pour plus de détails sur cette clause, vous pouvez consulter la fiche pratique sur la clause d’agrément dans la SA et la SAS.
La clause d’inaliénabilité
Pour garantir une stabilité parfaite dans l’identité et le poids respectif des différents actionnaires de la société, il est possible de stipuler une clause d’inaliénabilité : celle-ci interdit à tout ou partie des actionnaires de céder (ou de transférer par tout autre moyen tel que par voie de fusion ou d’apport) les actions qu’ils possèdent pendant une période définie dans le pacte.
Cette clause peut notamment être intéressante pour figer un noyau dur. Comme cette clause porte une atteinte importante au droit de propriété (puisqu’elle interdit à une personne de céder un bien dont elle est pourtant propriétaire), elle doit, pour être valable, être limitée dans le temps – la pratique prévoyant rarement une période d’inaliénabilité supérieure à 10 ans, qui est le maximum légal pour une telle clause insérée dans les statuts d’une SAS.
Il est probable que les investisseurs exigent de Monsieur Fondateur l’engagement de ne pas céder ses actions pendant un certain temps : les investisseurs recherchent avant tout à valoriser leur investissement. Ils veulent donc que la société se développe, ce qui suppose généralement que Monsieur Fondateur, qui connaît parfaitement la société, conserve ses actions et continue d’œuvrer au développement de la société. Dans la mesure du possible, il est bien évidemment préférable pour Monsieur Fondateur de ne pas souscrire cet engagement qui limite de façon stricte ses possibilités de sortie de la société, ou de la limiter à la période la plus courte possible.
Les clauses permettant la sortie volontaire ou forcée d’un associé
Plusieurs clauses ont pour objet de faciliter la sortie d’un associé de la société, que ce soit sur l’initiative de l’associé sortant ou de façon forcée.
La « clause de sortie conjointe » ou « tag along »
Cette clause permet à un associé de céder ses droits sociaux à l’occasion de la sortie d’un autre associé. Par exemple, les investisseurs pourront se voir consentir par Monsieur Fondateur l’engagement, s’il cède ses actions et le contrôle de sa société, d’obtenir préalablement de l’acquéreur qu’il rachète également les actions détenues par les investisseurs aux même conditions de prix et de manière concomitante. Le droit de sortie conjointe stipulé dans le pacte peut être « total » et s’appliquera alors en cas de transfert par Monsieur Fondateur de la totalité de ses titres, ou encore « proportionnel » : les investisseurs pourront alors céder leurs actions dans les mêmes proportions que celles cédées par Monsieur Fondateur.
Cette clause de sortie conjointe est classique, mais Monsieur Fondateur doit avoir conscience que s’il accepte cette clause, il devra par la suite, s’il veut céder ses actions, obtenir de son acquéreur potentiel l’engagement d’acquérir, en plus de ses actions, celles détenues par les investisseurs (ce qui peut être très difficile à obtenir si les investisseurs possèdent un grand nombre d’actions : l’acquéreur qui était d’accord pour acheter les actions de Monsieur Fondateur pourrait renoncer à la transaction s’il doit également acheter les actions détenues par les investisseurs). Il s’agit néanmoins fréquemment d’une exigence forte des investisseurs.
La clause de « sortie forcée » ou « drag along »
Cette clause permet à un ou plusieurs actionnaires majoritaires, en cas d’offre d’un tiers portant sur un pourcentage significatif du capital (souvent 90% ou même 100%), de forcer les actionnaires minoritaires à vendre leurs propres actions au tiers acquéreur, aux mêmes conditions (notamment de prix) et de manière concomitante. L’objectif est donc de parvenir à la cession de 100% des titres de la société tout en empêchant les associés minoritaires de s’y opposer.
La clause de « roulette russe » ou de « buy or sell »
Plus rare, cette clause permet d’éviter une situation de blocage persistante dans une société détenue à parts égales par deux actionnaires ou catégories d’actionnaires. En cas de désaccord entre Monsieur Fondateur et les investisseurs, les investisseurs vont pouvoir proposer à Monsieur Fondateur de lui racheter ses actions : si Monsieur Fondateur refuse, il sera contraint de racheter les actions des investisseurs. En application de cette clause, Monsieur Fondateur n’a que deux options : soit il rachète les actions des investisseurs, soit il doit leur vendre celles qu’il possède ; l’une des deux parties va donc devoir quitter la société.
Cette clause devra cependant être évitée si les rapports de force sont déséquilibrés : la partie la plus faible n’aurait en effet pas les moyens de racheter la part de l’autre et la clause ne pourrait dès lors bénéficier qu’à une seule partie (si Monsieur Fondateur n’a pas suffisamment de moyens financiers, il doit refuser cette clause : il suffirait en effet aux investisseurs de proposer à Monsieur Fondateur de lui racheter ses actions pour que celui-ci soit contraint de s’exécuter, ne disposant pas de suffisamment de fonds pour faire une contre-offre et racheter les actions détenues par les investisseurs).
Une alternative serait de prévoir un délai suffisamment long – par exemple 6 mois – pour permettre à Monsieur Fondateur de réunir les fonds nécessaires au rachat de actions des investisseurs, en souscrivant par exemple un crédit bancaire.
La clause de non-dilution
Cette clause garantit un actionnaire contre une dilution de sa participation dans la société. Ainsi, en cas d’augmentation de capital, l’actionnaire majoritaire s’engage à réserver une partie de l’augmentation de capital au bénéficiaire de la clause afin qu’il puisse maintenir, s’il le souhaite, sa quote-part dans le capital (dans une SA ou SAS, l’assemblée qui décide une augmentation de capital peut en effet supprimer le droit préférentiel de souscription).
Cette clause est classique et ne pose pas de difficultés majeures. Monsieur Fondateur doit cependant être vigilant et vérifier que cette clause ne peut pas l’obliger, comme cela est parfois le cas, à céder une partie de ses actions aux investisseurs en cas d’augmentation de capital à laquelle les investisseurs décideraient de ne pas participer (la non-dilution des investisseurs conduirait dans ce cas à une dilution de Monsieur Fondateur).
Les clauses qui organisent la gouvernance de la société et notamment l’exercice du droit de vote doivent être rédigées avec beaucoup de prudence : « le fait de se faire accorder, garantir ou promettre des avantages pour voter dans un certain sens ou pour ne pas participer au vote, ainsi que le fait d’accorder, garantir ou promettre ces avantages » est pénalement répréhensible (article L. 242-9, alinéa 3 du Code de commerce).
La nomination des administrateurs au sein d’une SA
Il est possible de prévoir qu’un certain nombre de membres du conseil d’administration devront être choisis au sein des porteurs d’une certaine catégorie d’actions, les signataires du pacte s’engageant à voter en leur faveur. Toutefois, pour ne pas porter atteinte au principe de révocabilité ad nutum (possibilité de révocation à tout moment) des administrateurs (principe qui serait détourné si un actionnaire s’engageait dans une clause à nommer tout candidat qui lui serait présenté, ce candidat étant de facto irrévocable), la clause doit laisser le choix entre plusieurs candidats (les candidats étant présentés par les porteurs de la catégorie d’actions).
Cette clause est classique. En pratique, les investisseurs peuvent, par exemple, se voir reconnaître le droit d’avoir au moins un représentant au conseil d’administration (quand bien même ils ne disposeraient pas de suffisamment de voix pour faire élire ce représentant au conseil) : lors de l’élection des membres du conseil d’administration, les investisseurs présenteront plusieurs candidats et Monsieur Fondateur (qui peut, par les voix qu’il possède, décider du sens du vote) se porte fort de l’élection d’un des candidats présentés par les investisseurs (il est cependant important que les investisseurs présentent plusieurs candidats, à défaut, Monsieur Fondateur serait en effet obligé de sélectionner le candidat proposé, ce que condamne le droit des sociétés).
L’instauration d’un comité de surveillance dans une SAS
Au sein d’une SAS, les investisseurs exigent fréquemment l’instauration d’un organe extra-statutaire appelé « comité de surveillance » ou encore « comité stratégique », dont l’objet est d’approuver les orientations stratégiques et financières de la société. Le pacte prévoit à ce titre une liste de décisions ne pouvant être adoptées ou mises en œuvre par les représentants légaux de la société ou ses associés sans l’accord préalable du comité : dans la mesure où les investisseurs exigent d’être représentés au sein de ce comité, ce mécanisme leur permet d’avoir un pouvoir décisionnel sur l’ensemble des décisions importantes concernant la société, peu important leur niveau de participation au capital.
Monsieur Fondateur devra porter une attention particulière à la liste des décisions soumises au comité de surveillance ainsi qu’à la majorité requise pour les approuver (il est en effet fréquent que certaines décisions nécessitent la majorité simple des voix des membres du comité et que d’autres décisions, plus structurantes, nécessitent l’unanimité des voix – auquel cas chaque investisseur bénéficie d’un droit de veto sur ces décisions).
Voir nos modèles de statuts de SAS : Statuts SAS sans conseil de surveillance / Statuts SAS avec conseil de surveillance
La distribution des bénéfices
Pour assurer un rendement minimum à un actionnaire minoritaire, un associé majoritaire peut s’engager à distribuer des dividendes dès lors qu’un bénéfice distribuable sera constaté (cette condition est obligatoire : une clause ne peut pas exiger une distribution de dividendes s’il n’existe pas de bénéfice distribuable).
Cette clause est très prisée des investisseurs. Elle permet d’éviter que Monsieur Fondateur (qui, dans notre hypothèse, dispose d’une majorité de voix à l’assemblée et peut donc décider de la distribution ou non des bénéfices) décide de ne pas distribuer de dividendes et de laisser les bénéfices en réserve, sans que les investisseurs qui ne disposent pas de suffisamment de voix à l’assemblée puissent s’y opposer. A partir du moment où le développement de la société ne nécessite pas que les bénéfices soient conservés dans la société, Monsieur Fondateur devrait pouvoir souscrire un tel engagement.
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