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Le portage salarial n’est pas un travail temporaire !
Intérim, temps partagé, groupements d'employeurs, coopératives d'activités et d'emploi… Difficile de s'y retrouver dans le panel des mécanismes hybrides mettant en jeu une relation triangulaire. Le point sur ce que le portage salarial n'est pas.
Rassuré que le Conseil d’État ait définitivement affirmé la légitimité de la branche du portage salarial le 6 novembre dernier, le syndicat des professionnels de l’emploi en portage salarial (PEPS) a publié dans la foulée son livre blanc pour 2020. Si l’enjeu est encore et toujours de se faire connaître des salariés en mal de liberté et des indépendants en mal de sécurité, un autre effort semble s’imposer : populariser la solution de portage salarial auprès des entreprises clientes.
Un statut encore méconnu
« Le dispositif leur est en effet encore insuffisamment connu, mal compris et mal appréhendé juridiquement. Les directions juridiques comme les directions des ressources humaines de ces entreprises ne savent pas toujours bien le situer dans la famille des intermédiaires en matière d’emploi […]. Il peut exister une certaine confusion dans les esprits entre les cas de recours au portage salarial et les cas de recours au travail temporaire », note Laurent Carrié, avocat associé du cabinet DDG, dans le livre blanc du PEPS.
Il faut dire que le montage contractuel du portage salarial n’est pas si simple. « L’opération de portage […] mobilise en pratique plusieurs branches de droit. Un contrat de travail et un contrat commercial cohabitent, l’articulation de ces contrats n’étant pas sans difficulté dans leur formation, leur exécution comme dans leurs modalités de rupture », souligne Fleur Laronze, Maître de conférences HDR en droit privé. Une complexité qui jette un voile et nourrit la confusion, surtout que le portage salarial n’est pas la seule forme de travail caractérisée par une relation tripartite (entreprise de portage salarial, salarié porté, entreprise cliente).
Portage salarial : ceci n’est pas de l’intérim…
Si l’intérim et le portage salarial reposent tous deux sur une relation triangulaire, une logique différente s’applique. Tandis que l’intérêt de l’entreprise de portage salarial est de soulager l’indépendant, l’entreprise de travail temporaire (ETT) sera davantage concentrée sur les intérêts de l’entreprise cliente. D’ailleurs, l’entreprise de travail temporaire s’occupe des démarches de prospection et de recrutements des candidats en lieu et place de l’entreprise cliente. Du côté du portage salarial, c’est le salarié porté qui prospecte ses clients, négocie la durée et le tarif de sa prestation. Ce dernier est autonome, contrairement au salarié intérimaire subordonné à l’entreprise cliente (sa rémunération est par exemple basée sur la grille salariale de l’entreprise cliente).
Surtout, les deux formes se distinguent par le profil des salariés, la nature des missions effectués et les secteurs d’activités concernés. « Le portage salarial s’adresse plus spécifiquement à des travailleurs expérimentés, hautement qualifiés, qui souhaitent se délester des obligations administratives et comptables du travail indépendant », explique Fleur Laronze. Avec leurs compétences spécialisées, ces derniers œuvrent dans des secteurs bien particuliers (informatique, formation, traduction, interprétariat, gestion de projet, marketing, webmastering, assistance à maîtrise d’ouvrage, développement commercial, etc.). A contrario, le travail intérimaire concerne davantage les secteurs du bâtiment ou de la restauration par exemple. Ici, le turnover est roi et les compétences exigées s’avèrent peu spécialisées.
Aussi, si le salarié porté et le salarié intérimaire – comme leur nom l’indique – sont tous deux salariés, leurs contrats ne sont pas de même nature. Alors qu’un contrat de travail classique (CDD ou CDI) unit le salarié porté et l’entreprise de portage salarial, un contrat de mission est conclu entre l’intérimaire et l’ETT. Le salarié porté apporte une expertise dans un domaine étranger à celui de l’activité habituelle de l’entreprise cliente. Le salarié intérimaire exécute une tâche précise et temporaire (remplacement, accroissement temporaire d’activité). Du côté de l’entreprise cliente, il s’agira d’un contrat de mise à disposition avec l’ETT ou d’un contrat de prestation de service avec l’entreprise de portage.
…ni un travail à temps partagé…
Le travail à temps partagé met également en jeu une structure tierce. Il s’agit d’une forme de prêt de main-d’œuvre à but lucratif, ouvert aux TPE/PME qui ne peuvent recruter (moyens ou charge de travail insuffisants). « Le recours à cette forme juridique de travail repose sur la recherche d’une plus grande adaptabilité dans l’embauche, en termes de durée et de coût par les entreprises clientes », précise la Maître de conférences. Comme le portage salarial, le travail à temps partagé peut intéresser les entreprises qui recherchent des compétences à haute valeur ajoutée et qui ne relèvent pas de leur domaine d’activité habituel.
Si l’entreprise cliente n’est pas l’employeur du salarié « prêté », elle est toutefois responsable des conditions d’exécution du contrat de travail (durée du travail, travail de nuit, repos hebdomadaire, etc.). Et si la rémunération du salarié « prêté » est versée par l’entreprise de travail à temps partagé (ETTP), cette dernière doit se faire rembourser par l’entreprise cliente (montant de la rémunération, charges afférentes, commission pour la mise en disposition).
Le portage salarial, lui, n’est pas spécifiquement adapté aux TPE/PME en mal de recrutement. L’indépendant « porté » choisit ses clients et fixe ses horaires ainsi que ses modalités d’exécution de ses prestations. Sa rémunération dépend du prix de prestation négocié avec l’entreprise cliente (et des frais de gestion de l’entreprise de portage). Autre différence : l’ETTP peut les entreprises clientes en matière de gestion des compétences et de formation. L’activité des entreprises de portage est essentiellement d’accompagner celle du salarié porté (formalités juridiques et administratives). « Notons que l’ETTP se voit reconnaître, en plus de la mise à disposition de salariés dans l’entreprise cliente, une activité autonome de la mission réalisée par le salarié », précise Fleur Laronze.
D’un point de vue contractuel, l’entreprise cliente conclut un contrat de mise à disposition avec l’ETTP (contenu de la mission, durée estimée, qualification du salarié, caractéristiques particulières du poste du travail et montant de la rémunération). Le salarié « prêté » lui, conclut un « contrat de travail à temps partagé » à durée indéterminée.
…ni un groupement d’employeurs…
Le travail régi par un groupement d’employeurs se rapproche du travail à temps partagé, à l’exception près qu’il ne peut être à but lucratif. Il s’agit d’une association ou d’une société coopérative qui repose sur une mutualisation des ressources de main-d’œuvre, ou sur un partenariat d’entreprise. L’objectif est d’alléger le coût global des embauches des entreprises partenaires. « Les salariés mis à disposition seront fonctionnalisés de sorte que leur recours par chaque entreprise dépendra de circonstances ou de besoins spécifiques », renseigne la Maître de conférences.
Le point commun avec le portage salarial ? Le groupement d’employeurs est l’employeur unique des salariés mis à disposition des entreprises adhérentes, comme les entreprises de portage à l’égard des salariés portés.
…ni une coopérative d’activité et d’emploi même si…
Les différences entre les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) et le portage salarial sont ténues. Contrairement au salarié porté, l’entrepreneur-salarié de la CAE est affublé du statut d’associé. Le plus souvent, la relation de l’associé avec la CAE repose sur un contrat d’appui au projet d’entreprise (CAPE). Les travailleurs d’une CAE bénéficient d’une assimilation légale au salariat (durée de travail, repos, congés, santé et sécurité au travail). « Le salarié porté, en revanche, se voit par hypothèse appliqué la totalité du Code du travail », précise Fleur Laronze. Et surtout, les CAE sont généralistes (bâtiment et services aux particuliers notamment).
« Sans être similaires, les statuts d’entrepreneur-salarié-associé d’une CAE-SCOP et de salarié porté d’une entreprise de portage se révèlent particulièrement proches, ou parallèles, le premier étant le versant indépendant du second », explique la Maître de conférences. Tout comme le portage salarial, la CAE prend en charge la gestion administrative, comptable et financière de l’entrepreneur.
Matthieu Barry
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