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Les députés ont adopté le projet de loi sur les indépendants
L’Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 10 janvier 2022, le projet de loi sur les indépendants. La renonciation à la séparation des patrimoines prévue par le nouveau statut unique de l’entrepreneur individuel a fait débat.
« Nous avons justement rétabli l’article 1er en commission pour travailler dans l’hémicycle sur la base d’un texte propre – pardonnez l’expression ». Les députés, sous l’impulsion de la rapporteure Marie-Christine Verdier-Jouclas (LREM), ont naturellement modifié le texte voté en octobre 2021 par le Sénat, avant de l’adopter. La notion de bien « utiles » à l’activité – source de contentieux pour le Sénat – pour caractériser le patrimoine professionnel est notamment rétablie (au lieu de la notion sénatoriale de biens « exclusivement utiles »).
D’une manière générale, la « sécurisation » juridique de l’article 1er du Sénat passe à la trappe (cf. notre article). « Le Conseil d’État a naturellement joué son rôle de conseiller juridique du Gouvernement […]. Je veux vraiment écarter la crainte de fragilité juridique au regard du travail sérieux qui a été effectué en amont sur le texte soumis au Parlement », a justifié Jean-Baptiste Lemoyne, ministre chargé des PME.
Pour rappel, le projet de loi en faveur des indépendants créé un statut unique pour les entrepreneurs individuels grâce auquel le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel devient par défaut insaisissable par les créanciers professionnels (les banques par exemple), alors qu’aujourd’hui seule la résidence principale est protégée. Plusieurs exceptions sont prévues, dont celle de renoncer à cette protection.
Par ailleurs, le texte facilite la transmission d’une entreprise individuelle (donation ou vente) ou son passage en société, et réforme l’allocation des travailleurs indépendants (ATI) qui n’a pas rencontré son public.
Vers une renonciation encadrée
Les députés ont majoritairement salué la création d’un statut unique qui protège le patrimoine personnel en cas de défaillance professionnelle, mais ont longuement échangé sur la possibilité donnée par le texte, de renoncer à cette protection. « Nous savons très bien comment les choses se passeront en amont des prêts : les banques disposeront d’une très grande capacité à pousser l’entrepreneur à renoncer à la protection de ses biens personnels […]. Et si vous me dites le contraire, dans cette République où la vulgarité quelques fois s’affiche, je vous répondrai qu’au bal des faux-culs, certains n’auraient pas froid aux pieds ! », a ainsi lancé en séance, le député André Chassaigne (PC), faisant écho aux craintes sénatoriales.
« Nous savons très bien comment les choses se passeront en amont des prêts : les banques disposeront d’une très grande capacité à pousser l’entrepreneur à renoncer à la protection de ses biens personnels. »
Du côté de la majorité, la renonciation doit être maintenue mais encadrée. « Si ces amendements [suppression de la renonciation] étaient adoptés, l’accès au crédit pour les entrepreneurs individuels s’arrêteraient net », a renversé le ministre délégué. Les députés et le gouvernement prévoient ainsi des garde-fous : un délai de réflexion de 7 jours – préconisée par les sénateurs – avant la signature de la renonciation (jugé plus à propos qu’un délai de rétractation) et l’obligation de déterminer au mieux le terme et le montant de l’engagement sur lequel porte la renonciation « pour éviter que celle-ci ne soit perpétuelle, ou ne couvre des engagements non plafonnés » (amt n°214). Le créancier devra par ailleurs réaliser une demande par écrit.
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Pas de patrimoine distinct pour le fisc
Autre exception à la séparation des patrimoines prévue par le nouveau statut : le droit de gage sur l’ensemble du patrimoine de l’administration fiscale pour le recouvrement de la taxe foncière. Les sénateurs souhaitaient qu’elle soit rattachée expressément au patrimoine professionnel. Les députés de l’opposition proposaient un compromis, dans l’esprit du texte. « Si le bien est professionnel, il revient de flécher le secteur professionnel, et si l’affectation porte sur les revenus personnels, ce sont eux qui doivent payer : c’est tout à fait logique et cohérent », a ainsi partagé Charles de Courson (LT).
Une logique dont la majorité fait fi. La taxe foncière « résulte de la propriété d’un bien sans considération de l’utilisation de ce bien pour un usage professionnel : nous n’avons donc aucune obligation [de supprimer le droit de gage sur les deux patrimoines], a simplement justifié la rapporteure Marie-Christine Verdier-Jouclas (LREM). Je rappelle qu’actuellement, l’administration a accès aux deux patrimoines pour recouvrer la dette de taxe foncière d’une personne qui a une entreprise individuelle : le texte n’est donc pas moins-disant, mais ne va simplement pas jusqu’au bout de la logique – je l’entends – eu égard à la distinction des deux patrimoines ».
« Le texte n’est donc pas moins-disant, mais ne va simplement pas jusqu’au bout de la logique – je l’entends – eu égard à la distinction des deux patrimoines. »
Pas mieux mais pas moins bien, donc. « Soudainement, pour des raisons d’opportunité fiscale, vous avez décidé de prévoir une dérogation, s’est ainsi agacé le député Stéphane Viry (LR). La rédaction actuelle de l’article 3 est un très mauvais signal envoyé aux travailleurs indépendants. » L’administration fiscale pourra également saisir l’ensemble des biens de l’entrepreneur individuel pour le recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux (sauf en cas d’option pour l’impôt sur les sociétés).
A contrario, les dettes dont l’entrepreneur individuel est redevable auprès des organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales ne relèveraient que du patrimoine professionnel.
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Transfert partiel du patrimoine professionnel
Le texte donne à l’entrepreneur individuel le droit de vendre, de donner ou d’apporter en société l’intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à sa liquidation. Un amendement du gouvernement – adopté par les députés – permet désormais explicitement un transfert partiel – et non intégral – du patrimoine professionnel.
L’entrepreneur individuel pourra ainsi « ne transférer qu’une partie de son patrimoine professionnel, céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société certains des éléments de son patrimoine professionnel pris isolément », comme l’indique l’exposé des motifs (amt n°50). Une mesure de clarification pour les indépendants qui exercent deux activités et qui souhaitent apporter seulement l’une d’entre elles.
À noter, un autre amendement du gouvernement traite la question des dettes professionnelles et personnelles de l’entrepreneur individuel, en suivant la logique de la séparation des patrimoines. La cessation d’activité par l’entrepreneur individuel, y compris lors du décès, emporterait en revanche la réunification du patrimoine personnel et professionnel.
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Un nouveau principe pour l’ATI
L’article 9 du projet de loi élargit l’accès à l’allocation des travailleurs indépendants (ATI) : le critère du revenu supérieur de 10 000 € serait maintenu uniquement pour la meilleure des deux années précédant la demande (au lieu de 10 000 € minimum en moyenne sur les deux dernières années) et l’indépendant ne devrait plus être en liquidation ou redressement judiciaire. Une nouvelle donne qui affecte le montant de l’ATI.
« L’ATI correspondra, de manière ultramajoritaire, à un montant forfaitaire de 800 €. »
Un amendement du gouvernement limite ainsi le revenu de remplacement afin qu’il ne puisse être supérieur à celui de l’activité précédente. Un plafond à 800 € par mois serait instauré « afin que le montant mensuel de l’ATI ne puisse pas être supérieur au revenu moyen mensuel perçu par le travailleur indépendant sur la durée antérieure d’activité (24 mois précédant la cessation d’activité) » (amt n°33). Et un montant plancher à 600 € par mois serait fixé (soit un montant supérieur à celui du RSA pour une personne seule).
« L’ATI correspondra, de manière ultramajoritaire, à un montant forfaitaire de 800 €, a rassuré Jean-Baptiste Lemoyne. Nous prévoyons simplement une clause – qui est avant tout un principe – selon laquelle le revenu de remplacement ne peut être supérieur à celui de l’activité précédente. » Le gouvernement souhaite que la nouvelle mouture de l’ATI soit accessible à plus de 25 000 d’indépendants, contre moins de 1 000 aujourd’hui.
Convoqués le 11 janvier, les députés et sénateurs se réuniront en commission mixte paritaire le 21 janvier 2022 pour accoucher d’un texte final.
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Matthieu Barry
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