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L'abandon de poste en 10 questions

Le cabinet Barthélémy Avocats a organisé en mai dernier un webinaire sur la nouvelle procédure applicable à l'abandon de poste. Nous revenons avec les intervenants, Laurent Gervais, Damien Chenu et Jean-Julien Jarry, sur les différentes questions abordées.

L'abandon de poste en 10 questions
De gauche à droite : Laurent Gervais, Damien Chenu et Jean-Julien Jarry.

1) La présomption de démission est-elle exclusive du licenciement pour faute grave ?

La nouvelle procédure de présomption de démission ne parait pas empêcher l’employeur, en cas d’abandon de poste volontaire, de mettre en œuvre une procédure de licenciement pour faute grave. D’abord, la lettre de l’article R. 1237-13 du code du travail abonde en ce sens : « l’employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission (…). Ensuite, absolument rien dans le texte législatif et réglementaire ne vient limiter le pouvoir de licencier de l’employeur dans le cas d’un abandon de poste du salarié.

De plus, l’article L. 1237-1-1 du code du travail, qui crée le mécanisme de présomption de démission, est inséré dans la sous-section du code du travail relative à la démission : il n’est pas créé de mode de rupture autonome exclusif de tout autre mode de rupture (comme ce fut le cas à l’époque où le législateur a prévu une section spéciale pour la rupture conventionnelle individuelle, exclusive du licenciement et de la démission).

Ainsi, tant que l’employeur n’aura pas fait de mise en demeure au sens de l’article L. 1237-1-1 du code du travail (de justifier de son absence et de reprendre son poste de travail en observant un délai de 15 jours), il ne fait pas produire effet au mécanisme de présomption de démission. Il est donc recommandé, lorsqu’on ne veut pas mettre en œuvre cette nouvelle procédure (mais qu’on entend plutôt utiliser le licenciement pour faute grave), de procéder à une mise en demeure qui ne reprenne pas le « cahier des charges » de cet article.

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2) Comment interpréter alors la position du ministère du travail qui se prononce en faveur de l’exclusivité de la présomption de démission ?

Un recours a été engagé à l’encontre du questions-réponses du ministère du travail (retiré du site depuis) qui soutient cette position. Sur ce point, notons que le ministère ne peut en principe, sous couvert d’une interprétation du droit positif, procéder à une interprétation créatrice. Le texte est d’origine parlementaire et l’argument tiré d’une meilleure connaissance par le gouvernement de l’intention de l’auteur du texte, ne peut donc pas prévaloir. La position adoptée dans le questions-réponses [en faveur du caractère exclusif de la nouvelle procédure] ne constitue qu’une simple opinion de la DGT sur le sens de l’article L. 1237-1-1 du code du travail, et rien d’autre.

3) Peut-on distinguer abandon de poste et absence injustifiée ?

L’abandon de poste se manifeste par le comportement du salarié qui quitte volontairement son poste de travail sans autorisation de l’employeur. En revanche, l’absence injustifiée consiste plutôt en une absence prolongée ou répétée sans justificatif pendant les heures de travail du salarié.

Le texte semble faire une distinction puisque l’article L. 1237-1-1 vise le cas du salarié qui a « abandonné volontairement son poste » et « qui ne reprend pas le travail ».

La Cour de Cassation opère d’ailleurs une distinction entre l’abandon de poste et l’absence injustifiée en matière de prescription des faits fautifs. L’abandon de poste constituerait un fait isolé, alors que l’absence injustifiée un manquement répété (*).

Pour autant, l’esprit du texte devrait, à notre sens, primer. Ainsi, le salarié qui n’aurait pas justifié de son absence ou repris le travail dans le délai prévu par la mise en demeure devrait être présumé démissionnaire.

4) Le salarié en période d’essai est-il concerné par la présomption de démission ?

Pendant la période d’essai, le dispositif n’est pas applicable. En effet, celui-ci est inséré dans le titre 3, du livre 2 de la première partie du code du travail qui porte sur la « rupture du CDI ». A cet égard, l’article L. 1231-1, alinéa 1, prévoit que ce contrat peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié ou d’un commun accord dans les conditions prévues par les dispositions qui suivent. Or, l’alinéa 2 de cet article exclut l’application de ces dispositions pendant le préavis.

5) Les salariés en CDD sont-ils concernés par la présomption de démission ?

Non, ils ne sont pas concernés. Le raisonnement est identique à celui qui conduit à exclure le dispositif de la période d’essai. Comme nous l’avons indiqué, ce dispositif est inséré dans le titre 3, du livre 2 de la première partie du code du travail qui porte sur la « rupture du CDI ». Les règles applicables aux CDD ne sont pas impactées par la présomption de démission… D’ailleurs, ce mode de rupture n’existe pas pour les contrats de travail à durée déterminée. Pour ce type de contrat, nous restons sur la procédure classique de rupture anticipée pour faute grave.

Lire aussi Présomption de démission en cas d’abandon de poste : la procédure est fixée par décret

6) Qu’en est-il des salariés protégés ?

Il s’agit d’un sujet très délicat et il est difficile de donner une réponse applicable à toutes les situations. Néanmoins, nous pouvons donner de grandes lignes directrices.

Les nouveaux textes n’excluent pas de leur champ d’application les salariés protégés. Quand un salarié protégé démissionne, il n’a pas à solliciter l’autorisation de l’administration du travail. L’avis du CSE n’est pas non plus nécessaire. Dès lors, si un employeur souhaite engager cette procédure, il convient de raisonner de la même manière que lorsqu’il est face à une démission notifiée par un salarié protégé. Le formalisme de la mise en œuvre de la procédure est identique qu’il soit en présence d’un salarié protégé ou non protégé.

En revanche, nous rappelons que, même en absence injustifiée ou lorsque le contrat de travail est suspendu, le mandat lui peut en principe toujours être exercé.

Compte tenu de la sensibilité du sujet et des conséquences qui peuvent en découler, il nous semble préférable de faire une analyse au cas par cas pour identifier la solution la plus adaptée, notamment en présence d’un litige préexistant.

7) Que se passe-t-il si le salarié ne justifie pas de son absence et revient ultérieurement à son poste de travail ?

Cette question laisse supposer que le délai de 15 jours s’est écoulé. Dans ce cas, une application stricte du texte pourrait conduire à considérer le salarié démissionnaire. En effet, s’il a été mis en demeure dans les conditions prévues par les textes, l’article L. 1237-1-1 dispose que le salarié est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai. Dans ce cas, son retour coïnciderait avec la période d’exécution de son préavis éventuel. C’est pourquoi, il nous apparaît nécessaire d’adresser un courrier au salarié au terme du délai précité pour acter de sa démission, et traiter des incidences qui en découlent (préavis, clause de non-concurrence …).

8) Comment s’applique le préavis dans ces différentes situations ?

Comme le prévoit le texte, le préavis débute au terme du délai fixé dans la mise en demeure pour que le salarié justifie et reprenne son travail. Donc, a minima, après 15 jours d’absence sans justification. A ce moment-là, il est considéré démissionnaire. Autrement dit, c’est comme s’il avait notifié sa démission au 15e jour. Bien entendu, si dans la mise en demeure l’employeur laisse un délai plus long, le préavis ne débutera qu’au terme de ce délai.

9) Que se passe-t-il si le salarié ne revient pas exécuter son préavis ?

Si le salarié ne vient pas réaliser son préavis – ce qui est très probable – le contrat de travail prendra fin au terme de celui-ci. Le salarié ne sera pas payé. Toutefois, dans cette situation, il est aussi possible d’appliquer une position connue de la jurisprudence qui considère que l’inexécution du préavis, qui constitue une faute grave, autorise l’employeur à l’interrompre. Dans cette hypothèse, nous recommandons d’adresser une nouvelle mise en demeure au titre de l’absence du salarié dans la cadre de l’exécution de son préavis.

Enfin, si le salarié devait revenir durant son préavis, l’employeur a la possibilité de l’en dispenser, mais il faudra alors lui rémunérer.

10) Quel est le sort de la clause de non-concurrence ?

Comme pour toute rupture de contrat de travail, s’il existe une clause de non-concurrence, celle-ci a vocation à s’appliquer. Pour en dispenser le salarié afin d’éviter de verser la contrepartie financière, il conviendra de lui adresser un courrier lui notifiant la levée de la clause. Par exemple, une fois le délai de 15 jours écoulé, l’employeur pourrait adresser un courrier le salarié qu’il est, en application de la loi, considéré comme démissionnaire. A cette occasion, il pourra lui être signifié la levée de la clause de non-concurrence, la durée de son préavis, les modalités de mise à disposition des documents de fin de contrat..

(*)  Arrêt du 29 janvier 2003 ; arrêt du 13 janvier 2004  ; arrêt du 5 décembre 2007 ; arrêt du 15 juin 2022.

Florence Mehrez

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