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Deux arrêts écartent la qualification professionnelle d'un accident survenu en télétravail
Deux arrêts de cour d'appel se prononcent sur l'accident qui se produit alors que le salarié est en télétravail. Dans le premier arrêt, la salariée venait juste de se déconnecter avant de chuter dans ses escaliers. Dans le second arrêt, le salarié a été blessé par la chute d'un poteau dans la rue alors qu'il enquêtait sur une panne informatique. Dans les deux cas, il ne s'agit pas d'un accident du travail.
En matière de télétravail, la règle selon laquelle « l’accident du travail, quelle qu’en soit la cause, [est] l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise » s’applique de la même manière (article L.411-1 du code de la sécurité sociale). L’article L.1222-9 du code du travail précise par ailleurs que « l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au sens de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale ». Si la présomption d’imputabilité ne s’applique pas, il appartient au salarié de prouver que l’accident a un lien avec son activité professionnelle.
Le contrôle des juges s’opère donc en deux temps :
- la présomption d’imputabilité peut-elle s’appliquer ?
- à défaut, le salarié démontre-t-il le caractère professionnel de l’accident ?
Deux arrêts récents de cour d’appel rendus à propos du télétravail effectué pendant la crise sanitaire, en 2020, illustrent bien cette démarche.
Débadgeage à 16h01, chute à 16h02 : un accident qui ne se déroule pas pendant le temps de travail
Une salarié de la CPAM télétravaillait pendant la crise sanitaire. Elle avait aménagé son espace de travail dans le sous-sol de son domicile dont l’accès se faisait par un escalier. Le 30 juillet 2020, elle fait une chute dans les escaliers en remontant du sous-sol à 16h02 après avoir débadgé à 16h01. La chute se solde par une fracture au coude et des blessures aux membres supérieurs. L’employeur est prévenu de l’accident le jour même de l’accident à 17h33.
Pour la salariée, cette chronologie ne permet pas d’écarter le caractère professionnel de l’accident. En effet, fait-elle remarquer, « elle a informé très rapidement son employeur de sa chute en indiquant qu’elle s’était déconnectée à 16h01 ». Elle fait observer que « son accident aurait été prise en charge si elle n’avait pas été en télétravail et que celui-ci est survenu dans la minute qui a suivi la fin de sa journée de travail ».
La cour d’appel d’Amiens dans un arrêt du 15 juin 2023 écarte le caractère professionnel de l’accident.
Dans un premier temps, elle rappelle les termes de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale et constate que « la chute accidentelle a eu lieu alors que [la salariée] avait terminé sa journée de travail », soulignant « qu’il n’est pas contesté que le temps de travail correspond au temps badgé ». Or, la salariée avait effectué son pointage de fin de journée (déconnexion) à 16h01 et qu’elle n’était plus sous la subordination de son employeur ». « Dès lors que l’accident du travail s’est produit en dehors de l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur, la présomption d’imputabilité de l’accident du travail ne peut s’appliquer aux termes des dispositions de l’article L.1222-9 III du code du travail prévues en matière de télétravail ».
Dans un second temps, elle recherche si la salarié établit la cause professionnelle de l’accident. « A défaut de présomption d’imputabilité, il appartient à la victime d’apporter la preuve de la matérialité du fait accidentel, de sa survenance par le fait ou à l’occasion du travail et du lien de causalité entre les lésions et le fait accidentel. Or, cette preuve ne peut résulter des seules déclarations [de la salariée] qui affirme avoir chuté dans l’escalier à 16h02 après avoir quitté son poste de travail. Il est en effet justifié uniquement de l’information de l’employeur à 17h33 et de l’hospitalisation à 17h50 ».
Au regard de ces deux constats, la cour d’appel estime que « la demande de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l’accident du 30 juillet ne peut être que rejetée ».
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Panne informatique et chute d’un poteau dans la rue sur le salarié : un accident qui ne se déroule pas sur le lieu de travail
Dans la seconde affaire, un salarié d’une banque était en télétravail lorsqu’il subit une panne informatique à 8h30 à la suite d’un bruit de choc qui s’est fait entendre à l’extérieur de son domicile Le salarié se rend sur la voie publique afin de savoir ce qui se passe. Alors qu’il discute avec le chauffeur du camion qui a heurté le poteau téléphonique, un second véhicule arrive et tire sur les câbles distendus entraînant la chute du poteau sur le salarié.
Ce dernier souffre de fractures multiples et d’une plaie ouverte sur son crâne. Il fait alors une déclaration d’accident du travail. Selon le salarié cet accident a bien un lien avec son activité professionnelle puisqu’il était sorti « afin de comprendre l’origine de la panne informatique et renseigner l’opérateur téléphonique afin de permettre un rétablissement de la connexion et la reprise de son activité.
Il en déduit être sorti de son domicile « pour les besoins de son activité professionnelle, d’autant qu’il résulte de ses fonctions de cadre d’accompagner les salariés dans leurs difficultés de nature informatique, et que l’accident s’est déroulé sur le lieu de travail et dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail ».
Mais la cour d’appel de La Réunion, dans une décision du 4 mai 2023, rejette la qualification professionnelle de l’accident. « En sortant de son domicile alors qu’il exerçait des missions dans le cadre du télétravail, [le salarié] a interrompu son travail afin de se renseigner sur l’origine du bruit et de la panne informatique. Il a ainsi cessé sa mission pour un motif personnel, aucune obligation ne lui ayant été faite par son employeur de trouver l’origine de la panne ou de renseigner utilement l’opérateur téléphonique ».
Dès lors la présomption d’imputabilité est écartée. Ensuite, la cour d’appel estime que le caractère professionnel de l’accident n’est pas établi car lors de la chute du poteau, le salarié « ne se trouvait pas sous l’aire d’autorité de son employeur, dès lors qu’il ne relevait pas de sa mission inhérente au contrat de travail d’identifier l’origine de la panne informatique ».
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Florence Mehrez
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