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[Interview] Patricia Pierre, Exponens : « La loi DDADUE est une contrainte administrative supplémentaire pour les chefs d’entreprise »
Dans le cadre de l'harmonisation avec le droit européen, le code du travail français permet dorénavant aux salariés d'acquérir des jours de congés payés pendant leurs arrêts de travail, quelle qu'en soit la cause (maladie, accident du travail et maladie professionnelle) et la durée. Explications par Patricia Pierre, en charge du pôle social & RH au sein du cabinet d'expertise-comptable Exponens.
Qu’est-ce que change cette réforme pour les employeurs ?
Patricia Pierre : Elle marque une avancée en matière de droits des salariés. La loi DDADUE a mis en conformité le droit français avec les normes européennes suite à une impulsion de la Cour de cassation avec différents arrêts publiés en septembre dernier qui avaient semé le trouble pour les chefs d’entreprise. Dorénavant, le code du travail français indique qu’un salarié acquiert 2 jours ouvrables de congés payés par mois d’absence pour arrêt maladie.
Ce mécanisme d’acquisition de congés payés fonctionnait déjà pour les salariés qui étaient absents pour cause d’accident du travail. Il a donc été étendu aux arrêts maladie avec cependant une différence notable : le salarié en arrêt maladie n’acquiert que 2 jours ouvrables de congés payés par mois d’arrêt, au lieu de 2,5 en cas d’accident du travail ou en l’absence d’arrêt.
Notons que la rétroactivité du mécanisme : tous les salariés encore en poste dans l’entreprise qui ont été en arrêt maladie, peuvent prétendre à ces droits, avec la possibilité de remonter jusqu’en décembre 2009. C’est énorme. Heureusement, le code du travail avait déjà prévu des équivalences, permettant aux salariés absents moins d’un mois dans l’année d’acquérir des CP.
En cas de congés continus pour arrêt maladie sur plusieurs années, la loi prévoit une extinction du droit d’acquisition des CP. Quant aux salariés sortis des effectifs d’une entreprise, ils ne peuvent agir seulement si leur contrat de travail a pris fin depuis moins de 3 ans à dater de la publication de la loi, ce qui limite le champ des possibles.
Quels sont les impacts de cette mesure pour les chefs d’entreprise ?
P. Pierre : La loi DDADUE a été votée et publiée au Journal officiel. Elle est donc entrée en vigueur le 24 avril 2024. Le chef d’entreprise va devoir distinguer les CP acquis durant les arrêts maladie des arrêts pour cause d’accident du travail. Dans le premier cas le salarié acquiert au maximum 24 jours de CP par an tandis que dans le second il en acquiert au maximum 30.
Autre complexité à gérer pour les chefs d’entreprise, l’obligation, en cas d’arrêt maladie de moins d’un an, d’informer le salarié, dans un délai d’un mois à compter de la reprise du travail, du délai de report de ses congés payés. Cela créé une difficulté pour les chefs d’entreprise qui devront gérer ces nouveaux délais. C’est un impact fort et contraignant pour eux.
Dans le cas de salariés fréquemment absents pour des durées plus ou moins longues, cette nouvelle loi va engendrer différentes périodes de report au titre des différents arrêts maladie, cela suppose pour le chef d’entreprise une gestion rigoureuse pour en assurer à la fois le suivi et l’information des salariés sur leurs droits. Au risque, si le délai de report n’est pas annoncé que ces droits n’expirent jamais.
Au-delà de son coût financier, la loi impose donc aux chefs d’entreprise une nouvelle obligation administrative ?
P. Pierre : C’est pour limiter l’impact financier de la loi et de la jurisprudence que la loi a créé un délai de report. Celui-ci permet à un salarié de prendre ses CP dans un délai de 15 mois à l’issue de la reprise du travail. La loi prévoit que l’employeur doit indiquer ce report à chaque arrêt de travail, et ce quelle que soit la durée. Le législateur ayant vu la charge que cela pouvait représenter pour le chef d’entreprise a précisé que l’information pouvait être donnée par tous les moyens pour marquer le point de départ de ce délai.
Ainsi, le chef d’entreprise peut informer le salarié du nombre de jours qu’il a acquis et qu’il peut reporter et de la fin du délai de 15 mois par courrier ou par mention sur son bulletin de salaire. L’intégrer au bulletin de paie est peut-être le plus efficace mais cela risque d’en complexifier davantage la lecture alors que dans le même temps un projet de loi pour simplifier les bulletins de paie est en cours et que deux compteurs existent déjà sur le bulletin de paie – congés acquis et congés en cours d’acquisition.
En outre, si l’information passe par le bulletin de paie, cela pourrait conduire à différencier les compteurs de CP dont ceux liés à l’arrêt maladie. Si in fine, l’impact financier pour les entreprises sera beaucoup moins lourd que ce que l’on pouvait craindre, c’est donc un formalisme et une contrainte administrative supplémentaire pour les chefs d’entreprise.
Que doivent-ils faire pour se mettre en conformité ?
P. Pierre : Il est indispensable que les chefs d’entreprise intègrent et appréhendent ces nouvelles règles pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de cette loi qui aborde des points très techniques. Pour se familiariser avec ces règles et être en mesure de les expliquer aux salariés –nombre d’entre eux sont dans l’attente de récupérer leurs congés–, ils peuvent se faire accompagner par des prestataires de paie.
Pour l’heure, nous attendons encore des précisions car le texte est incomplet. Si la loi permet de faire en sorte que le risque financier soit moins élevé pour l’employeur, celui-ci doit néanmoins faire preuve de rigueur dans la gestion des CP et des arrêts maladie. Il revient aux entreprises de s’interroger sur le meilleur moyen pour elles d’assurer ce suivi, via des logiciels de paie, des outils de SIRH (pour envoyer des notifications automatiques au salarié dès qu’il reprend le travail) ou un suivi manuel.
Se pose également la question de la gestion de la rétroactivité de ces congés : les employeurs ont-ils intérêt à prendre les devants et à anticiper et calculer les droits potentiels des salariés ou bien à attendre des réclamations de leur part ? Dit autrement, ont-ils intérêt à être pro-actif sur le sujet ou à attendre que les salariés agissent en contentieux ? Sachant que ces derniers disposent d’un délai de 2 ans à compter de la publication de la loi pour faire valoir leurs droits. Tout dépend du climat social qui règne au sein de l’entreprise et du nombre de cas concernés estimé.
Quoi qu’il en soit, les entreprises doivent pouvoir quantifier le risque et ont intérêt à dresser un état des lieux des congés à régulariser sur les années antérieures. Pour les salariés ayant quitté l’entreprise, le délai classique de prescription de 3 ans à compter de la publication de la loi semble devoir s’appliquer.
Propos recueillis par Charlotte de Saintignon
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