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Un salarié peut refuser des horaires qui portent une atteinte excessive à sa vie privée
Le licenciement pour faute grave d’un agent de sécurité, par ailleurs père d’un enfant lourdement handicapé, qui avait refusé de changer d’horaires, peut être jugé sans cause réelle et sérieuse. La Chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé la nécessaire prise en compte des impératifs personnels et familiaux par l’employeur.
Un employeur ne peut licencier valablement un salarié qui a refusé un changement d’horaires susceptibles de porter une atteinte excessive au respect de sa vie personnelle et familiale. La Chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé cette solution dans un arrêt du 29 mai (pourvoi n° 22-21.814).
Un agent de sécurité incendie avait vu son contrat de travail transféré à une société attributaire d’un marché en 2015. Cette même année, il avait été licencié pour faute grave, au motif qu’il avait refusé à trois reprises un changement d’horaires devant le conduire à travailler de jour et non plus de nuit. Il avait contesté ce licenciement auprès d’un conseil de prud’hommes puis avait saisi la cour d’appel de Paris.
Une fillette « handicapée à 80 % »
Le salarié avait produit une « notification au 12 janvier 2016 du versement de l’allocation d’éducation spécialisée pour sa fille âgée de sept ans et handicapée à 80 % pour laquelle la MDPH [Maison départementale des personnes handicapées] avait reconnu la prise en charge par les parents d’au moins 20 % des activités de l’enfant par une adaptation des horaires de travail », rapporte la Cour de cassation.
La cour d’appel de Paris avait jugé le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse. Elle avait condamné l’employeur à régler au salarié « diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, de rappel de salaire pour les mois d’octobre et novembre 2016, des congés payés afférents à ces condamnations, d’indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts », d’après la juridiction judiciaire suprême.
Le pourvoi de l’employeur
L’employeur avait formé un pourvoi contre l’arrêt rendu en seconde instance. Il s’appuyait notamment sur l’article 7.01 de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985, suivant lequel les salariés de cette branche assurent un service indistinctement soit de jour, soit de nuit, soit alternativement de nuit ou de jour. De son point de vue, « il s’agit là d’une modalité normale de l’exercice de leurs fonctions », « les contraintes personnelles du salarié » ne peuvent être opposées à l’employeur.
Toujours selon le demandeur, « la cour d’appel, qui n’a constaté aucun abus de l’employeur dans l’application des dispositions de la convention collective, a, en lui reprochant de ne pas avoir recherché un poste de travail de nuit, violé, par refus d’application » le texte mentionné « et, par fausse application », d’autres textes, dont l’article L. 1121-1 du Code du travail*.
« Un motif lié au respect de la vie personnelle et familiale »
Pour la Cour de cassation, le raisonnement de la cour d’appel était pertinent. Les juges du fond ont constaté que le salarié présentait « un motif lié au respect de la vie personnelle et familiale nécessitant un maintien de ses horaires de nuit » et que « l’entreprise ne justifiait pas de ce qu’elle ne disposait pas de poste de nuit ».
Des faits « dont il ressortait que le passage d’un horaire de nuit à un horaire de jour portait une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale et était incompatible avec les obligations familiales impérieuses, la cour d’appel a exactement déduit que le refus du salarié ne constituait pas une cause réelle et sérieuse de licenciement », décide la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire
Au rejet du pourvoi, la Cour de cassation ajoute un autre revers pour l’employeur, le condamnant aux dépens ainsi qu’à verser au salarié la somme de 3 000 euros, au titre des frais non compris dans les dépens.
L’impératif du consentement du salarié
Si des « horaires de travail proposés portent une atteinte excessive au droit au respect de la vie personnelle et familiale, ils représentent une modification du contrat nécessitant l’accord préalable du salarié », a ainsi confirmé la Cour de cassation, écrit sur son site Mathieu Michelon, avocat à Nice. Plutôt que de rompre le contrat de travail pour faute grave, « l’employeur aurait dû renoncer à cette modification ou licencier le salarié pour une cause non disciplinaire liée à la modification du contrat de travail », estime Me Michelon.
L’histoire ne dit pas si l’employeur disposait d’une cause de licenciement non disciplinaire susceptible d’être reconnue comme réelle et sérieuse.
* « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »
Timour Aggiouri
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