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Le barème Macron suscite controverses et contournements
Plébiscité par les employeurs, contesté par certaines juridictions, le barème Macron continue de faire débat. Les avocats du cabinet en droit social Voltaire Avocats alertent sur le foisonnement de stratégies pour multiplier les chefs d’accusation envers les employeurs pour contester ou contourner le barème. Cela passe notamment par la formulation de demandes de nullité de licenciements pour discrimination, atteinte à la liberté d'expression ou harcèlement.
Le principal objectif du barème Macron mis en place en septembre 2017 ? Assurer aux chefs d’entreprise la prévisibilité et la visibilité du risque encouru en cas de licenciement. L’objectif était de leur dire « N’hésitez pas à recruter en CDI, car si vous y mettez fin, les mesures d’indemnisation seront encadrées », explique maître Anne Vincent-Ibarrondo, avocat au cabinet Voltaire Avocats. Or, après sept années d’application du barème, la prévisibilité des coûts en cas de contentieux est « toute relative », juge-t-elle.
En cause ? L’augmentation des stratégies qui consistent à multiplier les chefs de demande en cas de licenciement suite à la mise en place du barème. « La situation est de nature à alourdir le travail de défense des entreprises confrontées à ces nouvelles stratégies, constate maître François Hubert, également avocat au sein du cabinet. On voit de plus en plus de dossiers avec des demandes en lien avec l’exécution du contrat de travail pour demander des sommes plus importantes que ce à quoi aurait le droit le salarié ». Une analyse partagée par deux professeurs de Sciences Po, qui porte sur plus de 260 000 arrêts de cours d’appel*. Celle-ci suggère que les juges auraient compensé la diminution de l’indemnisation imposée par le barème en accordant plus
facilement d’autres indemnités aux salariés.
Dispersion des demandes pécuniaires
« Le juge qui estime qu’une indemnité n’est pas adéquate pourra être tenté d’indemniser sur l’exécution du contrat de travail. Il ira peut-être compenser via d’autres préjudices », relève
maître Anne Vincent-Ibarrondo. Si l’indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est en moyenne plus faible depuis la mise en place du barème « Macron », celle-ci étant passée de 7, 9 mois de salaire brut à 6,6 mois, l’étude montre qu’en réalité, lorsque toutes les indemnités secondaires sont prises en compte, on ne constate plus de baisse du montant total d’indemnisation.
Mis en place pour plafonner les indemnités prud’homales allouées en fonction de l’ancienneté du collaborateur en cas licenciement sans cause réelle et sérieuse (Code du travail, article L. 1235-3), le barème a « stimulé la créativité des avocats de salariés et des défenseurs syndicaux », constate Anne Vincent- Ibarrondo. Il a ainsi donné lieu à un phénomène de « dispersion » des indemnités allouées.
Notamment pour les collaborateurs ayant peu d’ancienneté. L’étude montre que les salariés les plus impactés par le barème sont ceux qui ont entre 0 et 2 ans d’ancienneté et ceux dotés de 2 à 5 ans d’ancienneté*. « Avec le barème Macron, ils ne pourront obtenir que des dommages et intérêts plafonnés pour un montant très limité », explique l’avocate. De fait, ces salariés invoquent davantage la nullité de leurs licenciements.
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Et dissidences des cours d’appel
Si le barème Macron était plébiscité par les employeurs, il a été contesté par les organisations syndicales qui continuent de se battre contre son application et par certaines juridictions, notamment par les Cours d’appel de Douai et de Grenoble qui l’ont écarté à plusieurs reprises. Dans son arrêt du 7 mai 2024, la Cour de Cassation a souhaité mettre fin à cette résistance, réaffirmant que le barème était applicable et compatible avec les conventions européennes. « Avec le récent arrêt de la Cour de Cassation, la question est moins celle de la validité du barème mais celle du contournement via une dispersion des demandes », constate maître Anne Vincent- Ibarrondo.
Elle avertit que l’employeur se doit d’être particulièrement « vigilant » et « exemplaire », au titre à la fois de la rupture mais également de l’exécution du contrat de travail. « Il doit être en mesure de justifier par des éléments probants que le licenciement de madame x repose bien par exemple sur une faute ou son incapacité professionnelle à remplir son poste et non pas sur du harcèlement, de la discrimination ou de la violation de sa liberté d’expression ». Si tel n’est pas le cas, « il va s’exposer à de nombreuses demandes pécuniaires en cas de contentieux ».
Étant donné que le barème ne s’applique pas dans le cadre des licenciements les plus graves – harcèlement moral et sexuel, discrimination et violation d’une liberté fondamentale (droit de grève, violation de la liberté d’expression, exercice d’un droit de retrait) –, certains salariés pourraient être tentés d’invoquer une situation de harcèlement alors qu’ils ne sont jamais plaints d’une telle situation durant leur contrat poursuit l’avocate.
Et de conclure qu’il n’est « pas du tout compliqué » pour un salarié, d’indiquer à un juge, « J’ai été victime d’harcèlement moral, les indices dont je dispose sont les suivants ». « Ce
sera à l’employeur de s’expliquer sur les indices en question », avertit-elle. « À charge à l’employeur d’apporter des éléments objectifs », ajoute François Hubert.
*Rapport France Stratégie février 2024 : Evaluation de l’impact du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo
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Charlotte de Saintignon
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