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[Interview] Victor Geneste, président du CNGTC : « Les greffiers sont de véritables vigies de la vie des entreprises »
Renforcer les missions de police économique au service de la transparence, doter l’écosystème de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) d’outils facilitant les missions des autorités et des assujettis et gagner en efficacité dans la tenue du registre des bénéficiaires effectifs : telle est la volonté des greffiers des tribunaux de commerce.
Le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC) qui regroupe 141 greffes répartis sur l’ensemble du territoire en métropole et en outre-mer, a dévoilé dans un livre blanc 15 propositions pour lutter efficacement contre les schémas de fraude et de criminalité financière. Victor Geneste, président du CNGTC, revient sur les mesures phares.
Les greffiers sont des acteurs de premier plan en matière de LCB-FT ?
Les greffiers sont effectivement bien positionnés sur ces sujets et peuvent toucher tous les territoires. En tant que greffiers, nous avons deux grandes missions. La première est celle de la diffusion fiable de l’information légale sur les sociétés et de transparence économique via la tenue des différents registres, dont celui du commerce et des sociétés (RCS) pour les sociétés civiles et commerciales et le registre des bénéficiaires effectifs (RBE). Nous avons à ce titre la possibilité de contrôler en amont et pendant la vie des sociétés toutes les déclarations qui sont faites, comme le justificatif de jouissance du siège social, les actes de société comme les attestations de dépôt des fonds, les documents d’identité. Les greffiers sont en ce sens de véritables vigies de la vie des entreprises : nous sommes à la source de toutes ces informations et les diffusons via Infogreffe. L’un des moyens d’améliorer la lutte contre la fraude est de faire remonter des informations du terrain via les différents agents de contrôle tels que les assureurs, les banquiers, les institutions publiques, l’Agence française anticorruption (AFA), Tracfin ou encore le ministère de la Justice. Notre deuxième mission est l’assistance des juges consulaires du tribunal de commerce, notamment en matière de prévention et de procédures collectives.
La France se classe parmi les meilleurs États au monde en matière de lutte contre le blanchiment ?
Le GAFI (Groupe d’action financière), organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme qui fixe des méthodes et des références sur le sujet, note l’ensemble des pays selon leur capacité à lutter contre la fraude et pour la transparence financière. En 2022, il indiquait effectivement que la France était un bon élève grâce à son RCS. Mais il a également identifié des failles au sein de l’Hexagone, notamment concernant les associations.
Vous préconisez de fait la tenue d’un registre des associations ?
Pour le moment, excepté un annuaire déclaratif en préfecture, il n’existe pas de véritable registre des associations. De fait, il n’y a pas de contrôle en amont et pendant la vie de ces associations avec des astreintes et des sanctions. Seules certaines d’entre elles –celles qui font des appels publics à l’épargne ou encore celles qui procèdent à des opérations de change manuel– ont l’obligation de se déclarer au RCS. L’une des mesures du livre blanc a vocation à sécuriser le secteur associatif en créant un registre des associations confié aux greffiers des TC. Tout comme la liberté d’entreprendre n’a pas empêché la création du RCS, la liberté d’association ne doit pas empêcher la création d’un registre des associations. Ces dernières ne doivent pas être livrées à elles-mêmes.
D’autres mesures visent également à simplifier et sécuriser l’écosystème de la LCB-FT ?
L’objectif est d’instaurer des dispositifs nationaux pour que les fraudeurs aient du mal à utiliser des sociétés ou des associations pour frauder, qu’ils ne puissent plus passer sous les radars et qu’ils soient identifiés en amont. Nous proposons de publier une mention d’office au RCS des mesures de gel des avoirs portant sur des entreprises. Cette mesure doit être rendue publique pour renforcer la visibilité et empêcher de contracter avec une telle entreprise qui est interdite d’utiliser ou d’échanger des avoirs. Nous proposons également de créer un registre officiel des personnes politiquement exposées. Exceptée une liste établie par une société américaine qui les vend aux banques et assurances françaises, il n’existe pas de registre de ces personnes ! Faisons appel au bon sens : nous sommes plus légitimes à opérer ces contrôles et à avoir un registre français pour s’assurer qu’elles ne sont pas en conflit d’intérêts. De même, nous souhaitons créer un registre officiel des entreprises exclues de la passation des marchés publics pour la mettre à disposition des acheteurs publics. Cela permettrait de sécuriser la commande publique.
Quelles sont les mesures visant à renforcer les missions de police économique ?
Alors que nous pouvons contrôler l’authenticité des documents d’identité des chefs d’entreprise français, nous n’avons pas de dispositif équivalent pour les chefs d’entreprise étrangers. Nous souhaitons étendre le contrôle dans un premier temps en Europe puis à l’international via l’accès aux registres tenus par Interpol. Toujours dans l’objectif d’anticiper et de prévenir les fraudes en amont, nous souhaitons également pouvoir vérifier la réalité du compte bancaire déclaré par les sociétés. Beaucoup d’attestations de dépôt des fonds sont fausses. Nous demandons l’accès au fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) tenu par la Banque de France qui réunit tous les comptes bancaires. De même pour les adresses des sièges sociaux, élément capital d’identification d’une entreprise, afin de s’assurer que les adresses déclarées sont bien celles de telle ou telle société nous souhaiterions avoir accès au cadastre et aux bases de la Poste. Enfin, nous voulons interconnecter le RCS avec le répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP). Cet instrument de vérification de l’état civil des personnes nées en France tenu par l’Insee permet de savoir si une personne physique est décédée ou non pour éviter les hommes de paille. L’objectif est de pouvoir croiser avec nos déclarations et resserrer les mailles du filet.
Et quelles sont vos propositions pour gagner en efficacité dans la tenue du registre des bénéficiaires effectifs ?
Nous proposons de baisser le seuil de détention en capital ou en droits de vote conférant la qualité de bénéficiaire effectif qui avait été fixé à plus de 25 % : c’est très élevé, surtout pour des secteurs identifiés comme à risque. C’est d’ailleurs la même tendance au niveau européen où un seuil de 5 % a été évoqué. Dans un premier temps, il convient d’identifier les activités sensibles permettant de blanchir de l’argent. Ces commerces très peu réglementés –barber shop, magasins de chicha, laveries automatiques…– qui brassent beaucoup d’espèces sont identifiés comme à risque au vu de leurs nombreuses condamnations. Par ailleurs nous avons rappelé au Sénat l’urgence de rétablir l’obligation de déclaration des chaînes de détention au RBE. Pour l’heure, beaucoup de chaînes de détention avec des holdings font écran pour noyer la visibilité des flux financiers.
Quelle suite sera donnée à ce livre blanc ?
Notre livre blanc a été repris par certaines institutions. L’Agence française anticorruption (AFA) et Tracfin ou encore Transparency International France sont associés à notre livre blanc. Si le projet de loi anti-fraude porté par le gouvernement est actuellement en suspens, celui-ci n’a pas été pour autant enterré. Tous les partis politiques sont unanimes sur l’intérêt de la lutte contre la fraude. Nous continuons donc à travailler avec le Sénat sur ces problématiques et allons reprendre les travaux du projet de loi et faire valider un certain nombre de nos propositions. C’est maintenant ou jamais que la France doit prendre les mesures nécessaires. Il nous faut obtenir un arsenal législatif et réglementaire pour renforcer la lutte et pouvoir dès 2025 commencer à accélérer sur ces thématiques.
Charlotte de Saintignon
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