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Employeurs, attention au lien entre numérisation au travail et RPS
Les technologies numériques se multiplient dans l'environnement professionnel et peuvent être à l'origine de facteurs de RPS tels que l'augmentation de la charge de travail, le manque d'autonomie, l'isolement, la déqualification, etc. L'EU-OSHA a mené une enquête sur cette problématique.
La Journée mondiale de la santé mentale s’est tenue jeudi 10 octobre 2024. À cette occasion, l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA), a publié un rapport accompagné d’une note d’orientation sur les « Technologies numériques au travail et risques psychosociaux : éléments probants et conséquences pour la sécurité et la santé au travail ».
Cette étude, qui s’inscrit dans le cadre de la campagne 2023-2025 « Un travail sûr et sain à l’ère numérique », identifie les risques psychosociaux (RPS) et les impacts sur la santé mentale et le bien-être des salariés que peut générer l’utilisation des technologies numériques au travail. Elle propose également des initiatives pour éviter les risques liés à la transformation du paysage professionnel du fait de la numérisation.
Cinq principaux types de technologies numériques
Les recherches de l’EU-OSHA se sont portées sur cinq principaux types de technologies numériques : la robotique de pointe et l’intelligence artificielle (IA) pour l’automatisation des tâches, les systèmes numériques intelligents, les plateformes de travail numériques, les technologies de travail à distance et la gestion des travailleurs fondée sur l’IA.
La robotique avancée et l’IA
La robotique avancée et l’IA sont des machines intelligentes qui collectent, analysent des données et prennent des décisions. Ces technologies sont notamment utilisées pour les soins de santé, l’éducation, l’assistance à la clientèle, le marketing et les conseils financiers. Les robots mobiles, les robots d’assemblage et les robots d’exosquelettes en font également partie. Leur utilisation est toutefois limitée avec seulement 5 % des répondants à l’enquête OSH Pulse qui recourent à des machines d’IA et 3 % à des cobots (robot collaboratif).
Elles sont bénéfiques en matière d’efficacité, de précision, d’endurance et de sécurité des conditions de travail puisqu’elles interviennent dans des environnements dangereux à la place des travailleurs.
Les systèmes numériques intelligents
Les systèmes numériques intelligents comprennent différentes technologies : capteurs, IA, internet des objets (IoT), technologies sans fil, réalité augmentée et virtuelle, drones, etc. Ces systèmes peuvent prévenir et minimiser des dommages qui seraient causés aux travailleurs, améliorer la conformité en termes de santé sécurité au travail (SST), aider pour la prise de décisions ou encore développer des possibilités de formation dans des environnements virtuels.
Les plateformes de travail numériques
Les plateformes de travail numériques se définissent comme l’ensemble du travail rémunéré réalisé par l’intermédiaire de plateformes en ligne. Elles se caractérisent par des modalités de travail atypiques, une gestion algorithmique, l’implication de tiers et un transfert des risques et responsabilités vers les travailleurs. Parmi les potentiels avantages de ces plateformes on peut citer l’autonomie, des horaires de travail flexibles ou un meilleur équilibre vie professionnelle / vie privée.
Le télétravail
Les technologies de travail à distance, plus communément appelé télétravail, permettent une meilleure flexibilité et une autonomie accrue pouvant améliorer la productivité et les conditions de travail des travailleurs faisant l’objet de maladies chroniques par exemple.
Les systèmes d’IA pour la gestion des travailleurs
Concernant les systèmes d’IA pour la gestion des travailleurs, ils collectent des données en temps réel sur l’espace de travail, les travailleurs et leurs activités. Ils prennent des décisions automatisées ou semi-automatisées et communiquent des informations aux décideurs (RH, managers, employeurs, etc.). Leur utilité se trouve dans l’amélioration de la planification et de la répartition des tâches et l’optimisation de l’organisation du travail.
Facteurs de RPS et solutions
Pour chacune de ces cinq technologies numériques, l’EU-OSHA a identifié les principaux facteurs de RPS et plusieurs solutions pour y faire face (voir le tableau ci-dessous).
Technologie numérique |
Principaux facteurs de RPS |
Solutions |
---|---|---|
Robotique de pointe et IA |
Surcharge cognitive
Peur de perdre son emploi
Insécurité de l’emploi
Manque de confiance
Déqualification
Besoin d’amélioration des compétences
Changements dans le contenu du travail
|
Programmes complets de formation et de perfectionnement
Implication des travailleurs dans la planification et la mise en œuvre
Communication claire
Ajustements ergonomiques
Soutien psychologique
Transparence sur les capacités et limites de la robotique avancée et de l’IA
Mécanismes de retour d’information et d’ajustement
|
Systèmes numériques intelligents |
Manque de confiance du fait de la surveillance
Augmentation de la charge de travail
Pression temporelle
Manque d’autonomie
Mauvaise communication
Difficultés dans les relations sociales
Sentiment d’injustice (technologie invasive)
Manque de formation aux nouvelles technologies
|
Communication claire sur l’utilisation des données, la sécurité et la protection de la vie privée
Implication des travailleurs dans la prise de décisions
Renforcement de la responsabilité humaine dans l’interprétation des données
Adaptation des cadres juridiques et politiques
Considérations ergonomiques
|
Plateformes de travail numériques |
Isolement professionnel
Augmentation de la charge de travail
Pression temporelle
Insécurité de l’emploi et des revenus
Manque d’autonomie (car gestion algorithmique)
Sentiment d’injustice
Manque de confiance
Exposition à des contenus pénibles
Surcharge cognitive
Mauvais équilibre vie professionnelle / vie privée
|
Extension des obligations SST aux travailleurs des plateformes et fourniture d’une assurance
Gouvernance à plusieurs niveaux impliquant les autorités locales et les organisations de travailleurs
Gestion algorithmique transparente
Évaluations collectives des risques
Formation et soutien ergonomique
|
Technologies de travail à distance |
Mauvais équilibre vie professionnelle / vie privée (surtout pour les femmes selon des études)
Charge de travail accrue
Heures de travail prolongées (soirs, week-ends)
Connectivité constante
Isolement
Faible communication sociale
Manque d’autonomie (outils de contrôle, logiciels de suivi du temps de travail)
|
Accords de télétravail complets
Soutien ergonomique et équipement nécessaire
Implication des partenaires sociaux
Communication claire
Droit à la déconnexion
|
Gestion des travailleurs fondée sur l’IA |
Pression temporelle
Mauvaise communication
Peur de perdre son emploi
Augmentation de la charge de travail
Intensification du travail
Surcharge cognitive
Mauvais équilibre vie professionnelle / vie privée
Manque de confiance (manque de transparence)
Sentiment d’injustice (opacité des décisions)
Manque d’autonomie (surveillance continue)
Déqualification des travailleurs
Manque de formation
|
Transparence dans l’utilisation des données
Approche participative et transparente
Retour d’information des travailleurs
Règles spécifiques pour éviter que le travail ne déborde sur la vie privée
Initiatives de requalification et d’amélioration des compétences
|
Cas spécifique des plateformes de travail numériques
Plus précisément, pour les plateformes de travail numériques, l’EU-OSHA a effectué des recherches pour quatre catégories de travailleurs de plateformes :
- les travailleurs peu qualifiés sur place (livraison de colis) ;
- les travailleurs très qualifiés sur place (travaux manuels) ;
- les travailleurs peu qualifiés en ligne (modération de contenu) ;
- les travailleurs très qualifiés en ligne (programmation).
Il en ressort que certains facteurs de RPS sont les mêmes peu importe la forme de travail sur plateforme alors que d’autres sont spécifiques à certaines tâches.
Les facteurs communs sont l’isolement professionnel, l’augmentation de la charge de travail, la pression temporelle, l’insécurité de l’emploi et du revenu, le manque d’autonomie, le sentiment d’injustice et le manque de confiance engendré par une gestion algorithmique non transparente.
Au contraire, des facteurs de RPS sont propres à des tâches précises. Un travail en ligne peu qualifié expose à un contenu pénible. Une tâche en ligne nécessitant une haute qualification peut faire l’objet d’une surcharge cognitive du fait de l’exigence d’une concentration mentale élevée. De façon plus générale, le travail en ligne présente des risques sur l’articulation entre la vie professionnelle et la vie privée. Pour les tâches sur site, elles sont davantage concernées par les risques pour la santé physique, la violence, le harcèlement, etc. (ex. : chauffeurs de taxi, livreurs).
Formation, communication et implication des travailleurs
En synthèse, l’EU-OSHA suggère une intégration des risques émergents liés à la numérisation dans les stratégies de SST (sécurité des travailleurs, temps de travail, équilibre vie professionnelle / vie privée, etc.). Inversement, la SST doit également être incluse dans les règlementations et accords relatifs à la numérisation.
La formation, la communication transparente et l’implication des travailleurs dans les processus de décisions sont aussi des facteurs clés de réussite lors du déploiement de technologies numériques dans l’environnement de travail. Cela améliore la transition, l’acceptation et l’adaptation à ces systèmes émergents et réduit les RPS. La formation permet d’avoir des travailleurs compétents, confiants et bien préparés à manipuler ces nouveaux équipements et processus numériques.
L’implication des travailleurs renforce le sentiment d’appartenance et permet d’identifier les éventuels problèmes lors du développement de la numérisation. La communication a pour but d’informer les travailleurs sur les changements qu’impliquent les technologies numériques (opérationnels, technologiques, de sécurité, etc.) et leur expliquer les impacts sur leurs métiers.
Équilibre vie professionnelle / vie privée
Pour éviter une pression excessive sur les travailleurs, la charge de travail est à évaluer régulièrement et des ajustements sont à mettre en œuvre si nécessaire. Afin de garantir un équilibre vie professionnelle / vie privée, l’employeur garantit le droit à la déconnexion.
Les résultats de ces travaux de l’EU-OSHA doivent être pris en considération par les décideurs politiques et les employeurs lorsqu’ils conçoivent de nouvelles politiques ou introduisent des technologies numériques sur le lieu de travail. Bien que la numérisation présente des facteurs de RPS potentiels, il faut prendre en compte le fait qu’elle peut aussi améliorer les conditions de travail sur certains aspects.
Laura Guegan
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