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Forfait-jours : les mesures supplétives sur le suivi de la charge de travail s'imposent à l'employeur
En cas de manquement de l'employeur aux obligations supplétives, édictées pour pallier l'absence de dispositions conventionnelles sur le suivi de la charge de travail, la convention de forfait-jours des salariés concernés est frappée de nullité.
En principe, l’accord collectif instaurant le forfait-jours doit comporter des dispositions précisant les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail des salariés, et les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, et sur l’organisation du travail dans l’entreprise (article L.3121-64 II du code du travail).
En l’absence de ces dispositions conventionnelles ou si elles sont incomplètes, le législateur a prévu un dispositif dérogatoire, un dispositif dit de « rattrapage » ou « de béquille », codifié à l’article L.3121-65 du code du travail, dont les dispositions sont qualifiées de « mesures supplétives ». Ce dispositif permet à l’employeur de conclure tout de même des conventions individuelles de forfait-jours, mais à la condition de mettre en place unilatéralement les mesures nécessaires pour pallier les lacunes de l’accord relatives au suivi de la charge de travail.
Plus précisément, en l’absence de stipulations conventionnelles sur le contrôle de la charge de travail, une convention individuelle de forfait-jours peut être valablement conclue si l’employeur prend les mesures supplétives suivantes (article L.3121-65, I du code du travail) :
- l’employeur établit un document de contrôle du nombre de jours travaillés faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l’employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
- l’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
- l’employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, ainsi que sa rémunération.
Il est prévu également des mesures supplétives en l’absence de clause conventionnelle sur le droit à déconnexion, mais ce point n’était pas visé dans le litige.
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La convention individuelle de forfait-jours est nulle lorsque l’employeur ne respecte pas les dispositions supplétives
La Cour de cassation ne s’était toutefois pas encore prononcée sur le sort de la convention individuelle de forfait-jours si l’employeur ne respecte pas ces dispositions supplétives. Elle vient de le faire dans un arrêt du 10 janvier 2024. Dans cet arrêt, prévu pour être publié au rapport annuel de la Cour de cassation, elle déclare, pour la première fois à notre connaissance, que cette convention est alors frappée de nullité.
Elle précise clairement qu’en cas de manquement à l’une des obligations précitées, l’employeur ne peut se prévaloir du régime dérogatoire ouvert par l’article L.3121-65 (c’est-à-dire l’instauration des mesures supplétives conformes à l’article L.3121-65) et il en résulte que la convention individuelle de forfait-jours conclue sur la base d’un accord collectif incomplet est nulle.
La convention n’était pas en conformité avec la loi Travail du 8 août 2016 …
En l’espèce, un salarié avait été embauché avec un contrat de travail stipulant une convention de forfait en jours. Suite à son licenciement, il a contesté la validité de sa convention de forfait et demandé le paiement d’heures supplémentaires en raison de la nullité de sa convention de forfait. La cour d’appel suivie de la Cour de cassation lui font droit.
Tout d’abord, il est relevé que la convention collective permettant le recours au forfait-jours n’était pas conforme aux dispositions de l’article L.3121-64 du code du travail. En effet, cette convention collective ne contenait aucune disposition relative, ni aux modalités d’évaluation et de suivi de la charge de travail du salarié, ni aux modalités de communication sur celle-ci, et elle n’avait pas été révisée pour être en conformité avec la loi Travail du 8 août 2016.
… tout comme le dispositif dérogatoire de l’employeur
Dans un deuxième temps, il est relevé que le dispositif dérogatoire permis par l’article L.3121-65 et auquel l’employeur avait eu recours n’était pas conforme aux exigences de ce texte. En effet, la cour d’appel avait relevé que :
- les tableaux de suivi des journées et demi-journées travaillées ne reflétaient pas la réalité des jours travaillés par le salarié, peu important à cet égard que ceux-ci aient été renseignés ou non par le salarié, ou validés par lui, dès lors qu’ils devaient l’être sous la responsabilité de l’employeur. Il en résultait qu’il paraissait impossible à l’employeur de s’assurer que la charge de travail était compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
- l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation d’organiser avec le salarié un entretien annuel pour évoquer sa charge de travail.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation déclare que la convention individuelle de forfait-jours est nulle lorsque l’employeur ne respecte pas les dispositions supplétives prévues à l’article L.3121-65 du code du travail.
Quid lorsque l’accord collectif est valide mais que l’employeur ne l’a pas respecté ?
Dans le cas où l’accord collectif est valide mais que l’employeur ne l’a pas respecté, la Cour de cassation prive la convention individuelle de forfait-jours d’effet à compter de la défaillance de l’employeur et jusqu’à régularisation (arrêt du 2 juillet 2014 ; arrêt du 22 juin 2016). La sanction de la nullité est en effet à distinguer de celle de la privation d’effet.
Lorsque la convention est privée d’effet, il est possible de la régulariser, alors qu’en cas de nullité, la convention n’existe plus et cela, de manière rétroactive.
Lorsque la sanction est la privation d’effet, le salarié peut demander un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires uniquement pour la période qui court à compter de la défaillance de l’employeur et jusqu’à régularisation par celui-ci.
Dans le cas de la nullité, le forfait est supposé n’avoir jamais existé ; le salarié peut donc demander un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires depuis la conclusion de la convention, dans la limite du délai de prescription (arrêt du 27 mars 2019) qui est de trois ans (arrêt du 30 juin 2021).
En contrepartie, du fait de la nullité de la convention de forfait, l’employeur peut demander de son côté le remboursement des jours de repos octroyés.
Lire aussi Éligibilité au forfait-jours : attention à la caractérisation de l’autonomie du salarié
Carole Chriqui et Nathalie Lebreton
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