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[Interview] Facture électronique : « Les entreprises vont devoir faire trois déclarations de « E-reporting » par mois au lieu d’une seule auparavant »

Alors que le portail public de facturation (PPF) n’est pas encore prêt, dès le 1er septembre 2026, la facturation électronique deviendra obligatoire pour les grandes entreprises, les ETI et les groupes TVA. Les TPE, PME et microentreprises bénéficient d'un laps de temps supplémentaire avec un délai fixé au 1er septembre 2027. Décryptage des principaux enjeux par Stéphane Gosselin, expert-comptable et commissaire aux comptes chez Baker Tilly.

[Interview] Facture électronique : « Les entreprises vont devoir faire trois déclarations de « E-reporting » par mois au lieu d’une seule auparavant »
Les bénéfices de la facture électronique sont surtout organisationnels, selon Stéphane Gosselin, expert-comptable et commissaire aux comptes chez Baker Tilly. © Getty Images

Comment se passe la facturation aujourd’hui dans les entreprises ?

Le report de cette réforme initiée par l’État a été un coup de frein dans les entreprises qui avaient enclenché des étapes préparatoires et ont tout arrêté brutalement l’été dernier. Pour le moment, nombre d’entre elles restent à éditer des factures sur tableur ou traitement de texte ou via des logiciels qui ne seront pas maintenus, soit des outils qui ne sont pas adaptés à la future réforme. Elles multiplient les formats de facture et les canaux d’envoi, par voie postale, de la main à la main ou via des pdf non sécurisés et sans aucune valeur juridique envoyés par mail.

C’est en ce sens que l’État a voulu recadrer les choses. Ce chantier vise à alerter et sensibiliser les chefs d’entreprises pour qu’ils choisissent les bons éditeurs et se dotent des bons outils pour éditer des factures conformes aux futures normes.

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Comment les entreprises peuvent se préparer dès à présent à la facturation électronique ?

Les entreprises peuvent ainsi profiter d’un temps de réflexion supplémentaire. Elles ne doivent pas sous-estimer l’impact sur leur organisation et prendre le temps dont elles bénéficient pour se renseigner, tester, anticiper ce changement d’organisation. Ce ne sera pas de trop ! Car cela ne pourra pas se faire en dernière minute. Elles peuvent ainsi le faire tranquillement et non dans la précipitation.

Les entreprises ont intérêt à tester et à vérifier les systèmes pour s’assurer que ce qui est annoncé par les éditeurs est bien là et que les systèmes sont suffisamment souples et fonctionnels.

Nous avons entamé des démarches auprès des éditeurs de logiciels qui sont prêts et ont présenté aux clients les outils pour les aider à anticiper et qu’ils ne fassent pas des choix par défaut. C’est le risque, comme lors du passage à l’euro en 2002. Les entreprises ont intérêt à tester et à vérifier les systèmes pour s’assurer que ce qui est annoncé par les éditeurs est bien là et que les systèmes sont suffisamment souples et fonctionnels. C’est un changement d’habitude à prendre.

Tester des solutions permet aux entreprises de se rassurer. Les entreprises volontaires peuvent d’ores et déjà choisir leur plateforme parmi les plateformes dématérialisées partenaires de la Plateforme Publique de Facturation (cf liste officielle des futures PDP). Celles-ci sont déjà fonctionnelles et en cours d’agrément par l’État pour se préparer.

En combien de temps peuvent-elles implémenter un système de facturation électronique ?

Cela dépend du niveau de complexité de la facture. S’il s’agit d’une facture simple avec peu de texte, un mois peut suffire pour choisir et tester. S’il s’agit en revanche d’une base d’articles avec beaucoup de références, qui nécessite des applications parallèles de gestion de stock, de CRM ou d’options commerciales pour le suivi client, les relances, ou qui remet en cause l’organisation interne du circuit de facturation, la période de choix et d’élaboration du cahier des charges peut prendre cinq ou six mois.

Nous accompagnons par exemple une entreprise de 200 salariés, qui réalise 40 millions d’euros de CA depuis quatre mois et il nous reste encore deux mois d’accompagnement car son service administratif et financier de 12 personnes va être fortement impacté.

Quels sont les bénéfices de cette réforme pour les entreprises ?

Les bénéfices sont surtout organisationnels. La facturation électronique permet de générer un flux unique de factures, en réception comme en émission. La centralisation des factures, qui seront qui plus est toutes sous un même format standardisé, permet de les retrouver au même endroit. Cela facilite leur intégration dans la comptabilité et la gestion de suivi de paiement, encaissement et relance. Le vœu de l’État étant d’accélérer le paiement des factures. L’application informatique permet ainsi dès réception d’une facture de l’accepter et d’en planifier tout de suite le paiement. C’est à la fois un gain de temps et un moyen de les sécuriser.

Les entreprises qui passaient jusqu’à présent sous les radars ne pourront plus y compter.

Aujourd’hui les délais de paiement sont réglementés par le code du commerce mais il est difficile pour la DGCCRF d’en vérifier le respect. Elle aura désormais tout à disposition et n’aura plus besoin de se déplacer pour trouver les mauvais payeurs et les sanctionner. Le ministère de l’Économie publie toutes les semaines sur son site la dizaine d’entreprises sanctionnées pour non-respect des délais de paiement au nom du principe du name & shame. Cela risque de s’accélérer : les entreprises qui passaient jusqu’à présent sous les radars ne pourront plus y compter.

L’intérêt est également lié à la lutte contre la fraude fiscale et l’escroquerie. La plateforme publique va vérifier, avant de les valider ou éventuellement de les bloquer, que les factures sont bien issues d’entreprises inscrites au répertoire national des entreprises via le numéro de siret de l’émetteur et du récepteur. Pour éviter les mauvaises surprises, certaines plateformes privées proposent des alertes en cas de détection de changement de rib ou de coordonnées par exemple.

Quelles sont leurs principales craintes ?

Changer d’outil et d’organisation demande un certain investissement, en plus de nouvelles contraintes administratives au départ. La difficulté concerne également celles qui travaillent déjà avec un éditeur de logiciel et ne savent pas quand auront lieu les mises à jour et quel en sera le coût. S’il est prohibitif, elles n’auront pas forcément le temps de se retourner pour choisir une autre solution.

Avec ce système, qui va permettre à l’État de contrôler le calcul de la TVA, toutes les entreprises qui faisaient auparavant leur déclaration de TVA tous les mois, vont devoir envoyer ces informations tous les 10 jours. Soit trois déclarations de « E-reporting » par mois au lieu d’une seule auparavant. Les entreprises devront communiquer la date de paiement de leurs factures et les commerçants vont devoir déclarer leur cumul de caisses. Et donc être à jour en permanence dans leur suivi comptable et financier de paiement de leurs factures.

L’objectif de Bercy est également qu’à terme l’État puisse préremplir et précalculer les déclarations de TVA, comme cela se fait déjà à l’international. La particularité de la France résidant dans son code des impôts, avec un calcul de TVA qui obéit à plusieurs règles différentes.

Propos recueillis par Charlotte de Saintignon

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