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Le salarié peut notifier son départ à la retraite en cours de licenciement
À l’occasion d’un litige concernant un salarié qui avait opportunément pris sa retraite pour éviter un licenciement qui l’aurait privé du bénéfice de sa retraite supplémentaire à prestations définies, la Cour de cassation vient préciser à quelles conditions un départ en retraite peut constituer une rupture abusive.
Peu après avoir été révoqué de son mandat social de directeur général, un cadre dirigeant est convoqué à un entretien préalable à un licenciement pour faute grave. Sans attendre l’issue de la procédure, ce salarié ayant l’âge de bénéficier d’une pension de retraite notifie à son employeur son départ à la retraite effectif dès le surlendemain.
Après avoir quitté l’entreprise, il demande à bénéficier du régime de retraite supplémentaire à prestations définies souscrit au profit des cadres dirigeants présents dans les effectifs de l’entreprise jusqu’à l’achèvement de leur carrière.
Les régimes à prestations définies mis en place avant le 5 juillet 2019, comme c’était le cas en l’espèce, devaient conditionner le versement des droits à la présence du bénéficiaire dans l’entreprise au moment de son départ à la retraite pour que les contributions patronales les finançant bénéficient d’un régime social de faveur (article L.137-11 du code de la sécurité sociale). Ces régimes sont dits « à droits aléatoires » par opposition à ceux instaurés depuis le 5 juillet 2019 et fonctionnant à droits certains.
Après avoir essuyé un refus, il saisit la juridiction prud’homale, à laquelle il demande notamment d’ordonner à son employeur de remettre à l’assureur les documents nécessaires pour bénéficier de ce régime de retraite. La cour d’appel fait droit à sa demande.
L’employeur se pourvoit en cassation. Devant la Haute Juridiction, il soutient que le salarié a commis un abus de droit en faisant valoir ses droits à la retraite pour échapper aux conséquences d’un licenciement pour faute grave.
L’enjeu est de taille, puisque le départ à la retraite du salarié lui a permis d’échapper au licenciement et, ainsi, de remplir la condition d’achèvement de sa carrière dans l’entreprise requise pour bénéficier des prestations du régime de retraite supplémentaire à prestations définies. La caractérisation d’un abus de droit pourrait entraîner sa condamnation à indemniser l’employeur des sommes versées à ce titre en application de l’article L.1237-2 du code du travail.
Le départ à la retraite à l’initiative du salarié ouvre également droit à une indemnité de départ à la retraite légale (article L.1237-9 du code du travail) ou bien conventionnelle ou contractuelle si elle est plus favorable, au contraire du licenciement pour faute grave, qui est privatif d’indemnités de rupture.
Liberté de partir à la retraite malgré la procédure de licenciement
Tout en rappelant que la rupture d’un contrat à durée indéterminée à l’initiative du salarié ouvre droit, si elle est abusive, à des dommages-intérêts pour l’employeur, la Cour de cassation balaie l’argumentation du pourvoi.
Absence d’abus
Elle approuve la cour d’appel, qui a estimé que le salarié était libre de faire valoir ses droits à la retraite malgré l’engagement d’une procédure de licenciement disciplinaire. D’une part, il avait notifié à l’employeur son départ à la retraite en indiquant cesser ses fonctions le lendemain et avoir sollicité la liquidation de sa retraite pour le surlendemain. D’autre part, son contrat de travail ne prévoyait pas de préavis en cas de départ à la retraite.
La cour d’appel ayant constaté que la condition de présence du salarié dans les effectifs de l’entreprise lors de la liquidation de sa retraite prévue par le régime de retraite supplémentaire de l’entreprise était remplie, elle a ordonné à l’employeur la remise à l’assureur des documents permettant au salarié de bénéficier du régime de retraite.
Le contentieux du caractère abusif de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié concerne le plus souvent la démission. À titre d’illustrations, constitue une rupture abusive du contrat de travail le fait pour un mannequin de rompre brusquement son contrat de travail au cours de la journée de présentation de la collection qui comprenait des modèles créés sur ses propres mesures (arrêt du 19 juin 1959), pour un VRP de prospecter pour un concurrent avant sa démission et de n’informer son employeur de cette situation que lorsque celui-ci le surprend lors d’un salon sur le stand du concurrent (arrêt du 1er avril 1992) ou encore pour un chauffeur de poids lourd de conserver des documents importants, en l’occurrence les disques tachygraphiques du camion (arrêt du 4 juin 1987).
La Cour de cassation ne s’était pas prononcée, à notre connaissance, avant l’arrêt du 20 mars 2024, sur le bénéfice des prestations prévues par un régime à prestations définies à droits aléatoires en cas de départ à la retraite en cours de procédure de licenciement. On rappellera qu’elle a jugé que la perte d’une chance de bénéficier des prestations prévues par un régime à prestations définies à droits aléatoires subie par un salarié victime d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être indemnisée (arrêt du 11 mai 2011).
Pas de préavis
Les juges du fond ont considéré qu’aucun préavis n’était dû par le salarié, car son contrat de travail ne prévoyait un préavis de six mois qu’en cas de démission ou de licenciement mais non en cas de départ à la retraite.
Selon l’article L.1237-10 du code du travail, le préavis dû par le salarié qui demande son départ à la retraite est égal, sauf disposition conventionnelle plus favorable, au préavis prévu en cas de licenciement par les dispositions de l’article L.1234-1 du même code, soit un mois pour une ancienneté comprise entre six mois et deux ans et deux mois pour une ancienneté d’au moins deux ans. Pour l’appréciation du caractère plus favorable d’un préavis conventionnel, lorsque l’initiative du départ à la retraite est le fait du salarié, on peut, à notre sens, transposer la jurisprudence rendue par la Cour de cassation en cas de démission et selon laquelle seul un délai plus court est plus favorable au salarié (voir, par exemple, arrêt du 19 juin 1996).Toutefois, lorsque le salarié est tenu à un préavis et qu’il ne s’y conforme pas, l’inexécution du préavis se résout par le versement par le salarié d’une indemnité compensatrice (arrêt du18 juin 2008) égale aux salaires et avantages qu’il aurait perçus s’il avait travaillé (arrêt du 17 décembre 1987).
Preuve à la charge de l’employeur
Enfin, la Cour de cassation rappelle que c’est à l’employeur qu’il appartient de rapporter la preuve de l’abus de droit du salarié, conformément à la jurisprudence constante rendue en matière de démission abusive (arrêt du 22 juin 1994 ; arrêt du 12 février 2002 et arrêt du 29 janvier 2002).
Clément Geiger et Cécilia Decaudin
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