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L’entrepreneur face à l’incertitude : « Fais ce que dois, advienne que pourra »
L’incertitude, cette amie qui vous veut du bien, affole autant qu’elle stimule. Comment la gérer ? À l’occasion du salon SME 2019, plusieurs entrepreneurs à succès et financeurs chevronnés ont partagé leurs expériences sur le sujet.
Disruption, innovation, pivot… Le dico du startuper trahit son amour pour le vide, l’inexploré, l’inexploité. L’inconnu est au cœur de l’aventure. S’y lancer, seul(e) ou accompagné(e), puis risquer, calculer, risquer, calculer. « L’incertitude est le compagnon de route de l’entrepreneur », introduit avec raison Laurent Darmon, CEO de La fabrique by CA. Certains savent d’instinct l’appréhender, d’autres apprennent à le faire. Comment la vivre ? Comment en faire une force ? Sous la houlette de Matthieu Scherrer, directeur d’édition à l’Express, quatre entrepreneurs – dont l’ancien champion olympique de ski de bosse Edgar Grospiron – ont présenté, lundi matin, leur rapport à l’incertitude lors de la conférence inaugurale du salon SME 2019.
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L’entrepreneur face à l’incertitude : « Comme dans un portillon de départ »
Edgar Grospiron, ancien sportif de haut niveau qui poursuit l’adrénaline dans l’entrepreneuriat, résume : « Face à l’incertitude, deux approches : soit la réduire au maximum, soit améliorer son rapport à elle et sa confiance en soi. » Bien sûr, les deux démarches se complètent. À cet égard, le parallèle sportif est éloquent.
Dans le portillon de départ, le skieur est uniquement responsable de sa préparation. Le résultat, la réussite ou l’échec est incertain. Le seul moyen de le savoir, c’est de se lancer, d’atteindre la ligne d’arrivée. Mais pour ne pas avoir de regrets, il faut se lancer en ayant mis toutes les chances de son côté. « Dans le portillon de départ à Albertville, j’avais des milliers de virages dans les jambes. Devant moi, 65 virages pour la victoire », raconte le futur champion olympique de ski de bosse des JO d’hiver de 1992.
Minimiser l’incertitude pour réaliser la meilleure prestation possible ne dilue jamais la dose d’inconnu inhérente à l’aventure. « J’ai fait ce qu’il fallait, advienne que pourra », écourte le champion. D’ailleurs, pour le conférencier et fondateur de Edge : « Donner 100 % de ce que je sais faire importe plus que la victoire. » Culotté et discipliné, l’entrepreneur comme le skieur se lance alors, l’incertitude chevillée au corps.
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L’entrepreneur face à l’incertitude : « On ne va pas en mourir »
« OLY Be, ce n’est pas mon bébé, avance Gaëlle Frizon de Lamotte, s’il meurt, ce n’est pas dramatique. » L’entrepreneuse a monté son activité, plateforme qui met en relation élèves et professeurs de yoga, à 35 ans après 10 ans de salariat chez Philipps. « Au pire, qu’est-ce qu’il se passe ? Je retrouve du boulot », relativise-t-elle. Même son de cloche du côté d’Edgar Grospiron : « On ne va pas en mourir ». « L’important, ajoute-il, est de relativiser les conséquences de l’échec, pas l’échec lui-même. » La seule certitude au départ de Charlotte Cadé, fondatrice de Selency, première brocante en ligne, était de savoir qu’elle allait apprendre quoiqu’il arrive.
Aussi, une fois le risque apprivoisé, la peur peut laisser place à la liberté. Loin d’être un frein à la bascule, l’incertitude fut chez Gaëlle Frizon de Lamotte, l‘élément stimulateur. Ayant pris goût à la prise de décision en intraprenariat, elle sauta le pas. Et à la question de savoir, en voyant Sébastien Bazin partir en fin de conférence et s’éloigner au loin, s’il fallait lui envoyer un mail le lendemain ou se lancer directement à sa poursuite, l’ex-salariée a choisi son camp. « J’ai dévalé les escaliers en talons et me suis cassé la figure juste devant lui », raconte-elle. Après s’être relevée sourire gênée aux lèvres, elle obtint une rencontre avec les équipes de l’influent CEO d’Accor.
Même prise de risque pour Charlotte Cadé qui, face à l’incertitude, prit un chemin de traverse. Méthode non conventionnelle, la chineuse profita d’un abonnement Linkedin premium pour obtenir auprès de Business Angels une levée de fond de 500 000 €. Comment ? En envoyant simplement « un message très court, très direct pour se rencontrer, se voir ou prendre un café. »
Mais la palme de l’originalité revient à Guillaume Gibault, fondateur du Slip Français, qui a peint en 2016 sur le toit d’une usine dans le Nord, un slip géant visible depuis un avion, un drone ou un hélicoptère. Une folie bien maîtrisée par le jeune entrepreneur qui s’est lancé en 2011 dans l’incertitude avec 600 slips en stock. « Personne n’y croyait », rappelle-t-il. Il a attendu 8 mois pour percevoir un premier revenu. Il réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros.
L’entrepreneur face à l’incertitude : « Baliser au maximum »
Relativiser et surtout, minimiser au maximum l’incertitude. Ne serait-ce parce que le banquier n’aime pas le risque, comme le rappelle sans surprise Laurent Darmon. Soigner son business plan, son budget prévisionnel, suivre au quotidien son tableau de bord est primordial. Ici, l’idée « je me lance et je vois plus tard » n’est pas du plus bel effet. L’une des clefs pour réduire l’incertitude : l’accompagnement. « À 3 ans, sans accompagnement, un projet sur 2 est abandonné. Avec accompagnement, le taux de pérennité des entreprises atteint 75 % », indique le CEO de La Fabrique by CA. Autrement dit, l’accompagnement divise par deux l’incertitude.
À cet égard, Dominique Caignart, directeur du réseau Île-de-France de Bpifrance, assure que le premier paramètre qui rentre en ligne de compte pour les projets ambitieux est l’équipe soutenant le projet. Il insiste sur la complémentarité de ses membres en termes de compétences (marketing, ingénierie, commerce).
D’ailleurs, à l’instar d’Edgar Grospiron qui remercie son équipe pour leur victoire collective, Charlotte Cadé « ne se voyait pas se lancer seule ». Parfois assaillie par l’incertitude, la jeune CEO apprécie partager les bons moments et les plus difficiles, avoir quelqu’un avec qui prendre du recul, monter en compétences, envisager la suite, etc.
À l’inverse, du côté de Gaëlle Frizon de Lamotte et de Guillaume Gibault, l’altérité passe par la constitution d’un réseau. « Red flag ! Attention t’es seule », se répétait la passionnée de yoga. Tout est bon à prendre : réseaux, incubateurs, mentor, etc. Il faut s’astreindre à rencontrer des gens en permanence, conseille de son côté le jeune entrepreneur. Surtout « garder ceux qui disent que ça ne va pas près de soi ».
« Est-ce la vie dont j’ai envie ? »
Autres clefs de réussite : motivation et pragmatisme. Ne jamais céder aux sirènes de l’incertitude et rester accroché à son idée de départ même si cela nécessite de changer en cours de route son business model. « De nombreux projets pivotent : parfois c’est radical », témoigne Dominique Caignart.
Dans une moindre mesure, c’est ce qui est arrivé à Charlotte Condé. La cofondatrice de la plateforme Selency eut la fâcheuse surprise de devoir construire un réseau de transporteurs imprévu au business plan. Un obstacle qui s’est transformé en opportunité à saisir. « Là où sont les grands problèmes se trouve de grandes valeurs potentielles », a-t-elle retenu.
Toutefois, il s’agit de ne pas se méprendre : « L’entrepreneuriat, c’est quand même vraiment dur, ce n’est pas une sinécure », avoue Gaëlle Frizon de Lamotte. Même le meilleur des entrepreneurs ne vient jamais à bout de l’incertitude. La fondatrice d’OLY Be invite chacun à se poser la question : « Est-ce la vie dont j’ai envie ? ».
Matthieu Barry
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