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« Les femmes entrepreneures ne calibrent pas suffisamment haut leur business plan » (M. Pierrat-Feraille)
Mieux cerner les freins rencontrés par les femmes pour entreprendre. C’est le souhait du réseau Initiative France qui déplore encore le manque de femmes créatrices d’entreprise. Accompagné de quatre réseaux féminins – Forces Femmes, Les Premières, Action’elles, Femmes des Territoires – les cinq réseaux ont organisé une table-ronde dédiée au sujet « Libérer le potentiel entrepreneurial des femmes ».
« Je me suis sentie parfois peu légitime, face à différents partenaires dans le montage du projet parce que j’étais une jeune femme. On m’a demandé plusieurs fois à voir mon patron », « J’ai reçu beaucoup plus de considération lorsque je me présentais en couple avec mon conjoint impliqué dans l’entreprise ». « On me demande très souvent, pour ne pas dire à chaque fois, si je suis bien épaulée par un mari/compagnon à la maison ». « S’adresser à un homme qui est à côté de moi plutôt qu’à moi »… Les difficultés rencontrées par les femmes qui entreprennent tournent toujours autour des mêmes ritournelles.
Près d’un quart d’entre elles sont encore confrontées à des clichés et préjugés. Pire, elles estiment ne pas être reconnues comme légitimes. Pour Céline André, déléguée générale du réseau Femmes des Territoires, le premier obstacle rencontré par les femmes est justement « le sentiment d’illégitimité que l’on constate au quotidien, vécue par de trop nombreuses femmes ». Mais lever les freins à l’entrepreneuriat féminin s’avère plus compliqué que de dire simplement « il faut oser, il faut y croire, il faut y aller », considère Marjolaine Pierrat-Feraille, déléguée générale du réseau Les Premières.
Le levier à actionner ? L’accompagnement, qui permet de « prendre conscience d’un certain nombre de freins que l’on se met soi-même sur l’entrepreneuriat ». Johanny Grandclaude, fondatrice de l’agence Senior Compagnie à Metz confie qu’elle s’était ainsi mis des freins toutes seule avant de se lancer : « J’avais peur de ne pas y arriver, peur de ne pas être à la hauteur ». Autres atouts de l’accompagnement, lever d’autres obstacles, « comme les difficultés administratives et comptables, le manque de confiance ou encore l’isolement », signale Guillaume Pepy, président du réseau Initiative France.
Modèle de business plan à 5 ans (pack complet)
Au-delà du « pink washing »
Pour les femmes entrepreneures, la pierre angulaire reste encore et toujours le financement. « Lorsque l’on est une femme entrepreneure, on a deux fois moins de chance d’obtenir un prêt bancaire », affirme Marjolaine Pierrat-Feraille. Le financement reste « une question clé car c’est dans les business plans que l’on voit le problème. Les femmes entrepreneures ne calibrent pas suffisamment haut leur business plan. Un entrepreneur en général a des difficultés à définir le bon niveau de prix. Chez les femmes, c’est chronique », estime-t-elle.
« Systématiquement les prix et le business plan sont sous-calibrés par rapport à ce qu’ils devraient être, donc il y a moins de puissance et moins d’ambition, poursuit-elle. C’est normal car nous sommes dans une société où les femmes sont payées 87 % de la rémunération des hommes en entreprise. Or, une femme qui ne se rémunère pas bien, c’est une femme qui se met en danger elle-même –67 % des femmes entrepreneures ne se paient pas le Smic*–, et c’est une femme qui met en danger son projet. »
Les résultats de l’enquête menée auprès de 619 femmes soutenues par Initiative France et Forces Femmes* confirment le manque d’ambition des femmes. Si les femmes ont des projets plus souvent empreints d’une responsabilité écologique, territoriale et sociétale, elles ont ainsi également des projets aux ambitions plus modestes : 58 % ne pensent pas embaucher un ou plusieurs salariés supplémentaires en 2023. « Leur priorité est de changer le monde », souligne Marjolaine Pierrat-Feraille. Pour la déléguée générale des Premières, il faut énoncer « clairement tous ces critères pour avoir un vrai tissu de femmes chef d’entreprise », soit s’interroger : « Est-ce que l’on veut que les projets soient pérennes, qu’il y ait un chiffre d’affaires minimum, qu’au bout de cinq ans, il y ait une profitabilité ? »
« Il y a trop d’accompagnements qui consistent à apprendre à communiquer ou à pitcher »
Véronique Morali, présidente de Force Femmes, qui accompagne les femmes de plus de 45 ans au retour à l’emploi et à la création d’entreprise, insiste sur la nécessité pour elles d’apprendre les indicateurs de gestion comme intégrer la notion de marge, ne pas confondre le chiffre d’affaires et le résultat, penser à son cash… « Sinon c’est inutile de continuer, insiste-t-elle. On est devenus assez féroces là-dessus car on s’est aperçus que les femmes qui démarrent leur projet d’entreprise n’ont aucune idée de ce que sont les indicateurs de gestion. Elles s’en remettent à leur expert-comptable mais ne sont pas en contrôle de leur projet sur le plan de la gestion ».
Pour Marie Cambot, au-delà du « nice to have » soit la posture, la confiance, etc., « les sous sont le must to have ». La fondatrice d’Innovhem dans le Val-de-Marne, qui ne savait pas faire un faire un business plan, indique qu’elle avait « besoin d’avoir la main tenue » sur le sujet. Marjolaine Pierrat-Feraille insiste sur la nécessité d’aller au-delà d’un « pink washing : il y a trop d’accompagnements qui consistent à apprendre à communiquer ou à pitcher ».
Pour Patricia Lexcellent, déléguée générale d’Initiative France, qui rappelle que « le taux de pérennité à trois ans des projets que l’on accompagne, portés par des hommes ou par des femmes est de 91 % », l’enjeu est bien d’accompagner des projets pérennes et rémunérateurs.
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Inégalités en cascade
Si l’ambition des réseaux féminins est bel et bien que les femmes aient plus accès à l’entrepreneuriat, c’est aussi et surtout qu’elles viennent avec des projets plus fiables et pérennes et des rémunérations qui sont les bonnes. Pour le moment, en termes de parité, 43 % des projets d’entreprise financés et accompagnés par Initiative France sont portés par des femmes. « C’est un demi-succès, commente Guillaume Pepy. Les derniers kilomètres qui nous séparent d’une vraie parité sont beaucoup plus difficiles qu’on ne l’imaginait ».
Et de s’interroger : est-ce une question de mentalité, de culture, de biais ? « Il faut en parler haut et fort pour faire bouger les mentalités ». D’autant que les chiffres de l’Insee sur le sujet sont encore plus alarmants : seules un tiers des personnes qui entreprennent dans notre pays sont des femmes. « Un chiffre qui évolue peu et traduit la persistance de freins et obstacles à la décision d’entreprendre », signale le réseau Initiative France.
« Il y a des rémunérations moins importantes, des business plans qui ne sont pas faits, des ambitions qui sont moindres, et, derrière, de la fragilité et de la précarité »
Au-delà de souhaiter atteindre la parité entre hommes et femmes en termes de création d’entreprise, le manque d’égalité se lit également dans les domaines d’activité investis –les femmes étant sur-représentées, à près de 80 %**, dans les secteurs des services à la personne et sous-représentées dans le BTP et la construction, à moins de 5 %. « C’est un tableau d’honneur ou d’horreur » commente Guillaume Pepy.
Des inégalités qui se retrouvent enfin dans les rémunérations. L’enquête d’Initiative France confirme que 63 % des femmes se déclarent insatisfaites de leur niveau de rémunération par rapport à leur situation professionnelle antérieure. « Il y a des rémunérations moins importantes, des business plans qui ne sont pas faits, des ambitions qui sont moindres, et, derrière, de la fragilité et de la précarité », conclut Céline André de Femmes des Territoires.
* Enquête réalisée par Initiative France et Forces Femmes auprès de 619 entrepreneures soutenues par ces réseaux en octobre et novembre 2023
*Chiffres Insee 2022
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Charlotte de Saintignon
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