Actu
Loi Climat : les fédérations du commerces vent debout contre la réglementation des vitrines
Les fédérations du commerce s’insurgent contre l’article 7 de la loi Climat et résilience qui autorise les maires à réglementer les vitrines des commerçants. Une mesure « discriminatoire » et « absurde », selon elles, qui s’attaque à la liberté de commerce et au droit de la propriété privée.
« Nos centres-villes ne sont pas Broadway, nous sommes dans le domaine de l’absurdie ». Jean-Pierre Lehman, président des vitrines de France, n’a pas manqué d’imagination, jeudi 25 mars, pour dénoncer l’article 7 du projet de loi Climat et résilience. Ce texte, qui permettrait aux maires de réglementer les écrans publicitaires placés dans les vitrines des commerçants, unit contre lui toutes les fédérations du commerce, de la grande distribution aux petits commerces des centres-villes. « C’est la première fois en 15 ans que je vois un sujet sur lequel nous sommes tous d’accord », note Alexandra Bouthelier, déléguée générale de la Fédération du Commerce Coopératif et Associé. Et pour cause, les griefs sont nombreux.
« Touche pas à ma vitrine »
Une question de principe, d’abord. « Avec cet article (article 7 de loi Climat et résilience, ndlr), les maires peuvent intervenir au titre de règlement local de la publicité dans le cadre de la voie publique et donc intervenir dans la propriété privée d’un commerçant. C’est une atteinte au liberté du commerce et au droit de la propriété privée », explique Guillaume Simonin, directeur des affaires économiques et juridiques de l’Alliance du Commerce. « Qui parmi nous voudrait que les élus régissent la couleur de nos rideaux dans nos appartements ? », s’interroge ainsi Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos. « Personne ne trouverait ça normal qu’un élu régisse la manière dont les pages d’accueil des sites internet sont constitués ».
« On va pénaliser les magasins qui veulent s’implanter dans les centres-villes alors même qu’on essaye de les revitaliser »
Outre l’ingérence publique, la mesure est contestée en ce qu’elle touche seulement les commerces physiques, et qu’elle les touche au cœur. « La vitrine d’un commerçant est son outil de communication principal, majeur, historique, vital. La vitrine lui permet de se différencier », explique Emmanuel Le Roch. « Si la vitrine perd toute sa qualité de décoration et d’information, les clients ne rentreront pas dans les commerces, craint Thierry Véron, président de la fédération des commerçants et artisans parisiens. Les commerçants ne vont pas pouvoir s’en sortir. Ils ont subi les attentats, les grèves, les gilets jaunes, et maintenant la crise du Covid… C’est encore les boutiques qui pâtissent, alors même que l’on trouve des panneaux dans les aéroports, les gares, les avenues parisiennes… »
Les boutiques, et surtout les petits commerces des centres-bourgs. « On va pénaliser les magasins qui veulent s’implanter dans les centres-villes alors même qu’on essaye de les revitaliser », tombe des nues Alexandra Bouthelier qui estime que les commerçants « ne peuvent pas se permettre de vivre avec une nouvelle épée de Damoclès sur la tête ». Un biais trop difficile à assumer pour Jean-Pierre Lehman : « À part certains irréductibles, la préoccupation de la majorité des maires est de redynamiser leur cœur de ville, car ils se sont rendus compte qu’une ville sans commerce est une ville morte ». Le président des vitrines de France alerte sur les contrôles à venir. Une taxe estimée à 150 M€ par an pourrait voir le jour.
Selon le communiqué des fédérations regroupées dans le collectif « Touche pas à ma vitrine » lancé fin février, « 90 % des 594 000 commerçants de proximité seraient concernés par cet article avec à la clé un danger majeur pour leur attractivité et leur pérennité ».
Lire aussi Covid-19 : les pistes de Bercy pour sauver les commerces de proximité
Imbroglio écologique
« Nous sommes dans l’incompréhension totale. La dimension économie d’énergie de cette mesure n’est pas prouvée. Et la mesure incite à remplacer les écrans par d’autres communications plus énergivores, pointe Alexandra Bouthelier. Arrêtons de réfléchir en silo, il faut aborder les problématiques dans leur globalité », exhorte-elle. Les fédérations mettent en avant une étude réalisée par KPMG en 2020 qui démonterait que « les vitrines digitales et le parc d’écrans numériques publicitaires extérieurs français sont environ 3 à 4 fois moins énergivores que le secteur de la publicité digitale et de la télévision ».
« Arrêtons de nous infantiliser, les commerçants sont là pour accueillir les clients, ce n’est pas pour les perturber avec des publicités tapageuses… »
De quoi faire sourire les commerçants. « Ce n’est pas les milliers d’écrans dans les magasins qui vont sauver la planète. Ce n’est pas un paquebot qui traverse le monde pour acheminer des produits fabriqués à l’autre bout de la planète », s’agace Jean-Pierre Lehman. Et sur la promotion des produits climaticides, second argument avancé par les 13 élus écologistes après la surconsommation des écrans, dans leur tribune publiée dans le Journal du Dimanche le 20 mars, le président des vitrines de France relativise. « Arrêtons de nous infantiliser, les commerçants sont là pour accueillir les clients, ce n’est pas pour les perturber avec des publicités tapageuses… »
« Les commerçants sont au service de leurs clients, c’est le lien social, ajoute Francis Palombi, président de la Confédération des Commerçants de France. J’ai pris peur du lobbying politique, jusqu’où il peut aller. C’est un habillage politique, il n’y a pas d’intérêt général de cette loi. J’en appelle à tous les députés, à leur sagesse, à leur bon sens, ne voyons pas que les aspects politiques. » Même son de cloche du côté d’Emmanuel Le Roch. « Objectivement, l’enjeu n’est pas énergétique ».
Pour autant, pas question de les taxer d’anti-écologisme. « On est montré du doigt comme si l’on n’était pas concerné par les enjeux climatiques. Nous sommes totalement engagés. Le commerce donne le la sur l’évolution de notre pays en matière de RSE. On n’a pas de leçon à recevoir », coupe court Alexandra Bouthelier. « Avec la loi ELAN, tous les mobiliers commerciaux doivent réduire leur consommation énergétique de 40 %. Nos enseignes sont engagées dans une réduction de la consommation d’énergie », rappelle Guillaume Simonin.Bref, le message du collectif est clair. « L’article 7 n’a pas de consistance, il y a bien mieux à faire. Les plateformes logistiques, le dernier kilomètre ? J’en appelle à tous les députés, tous les élus de la République, il faut supprimer cet article 7 qui n’a pas de raison d’être », résume Francis Palombi.
Lire aussi Covid-19 : l’économie circulaire, une opportunité à saisir
Matthieu Barry
Vous devez être connecté(e) pour poster un commentaire.
Commentaires