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L’ouverture d’une conciliation ne peut fonder une déclaration de défaut à la Banque de France

La chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle, dans un arrêt du 3 juillet, que le déclenchement d’une procédure de conciliation représente « une information confidentielle ».

L’ouverture d’une conciliation ne peut fonder une déclaration de défaut à la Banque de France
La confidentialité de la procédure s’applique à la décision d’ouverture, à son existence et à son contenu, tranche la Cour de cassation, par interprétation de l’article L. 611-15 du code de commerce. Elle « est opposable à toute personne qui, par ses fonctions, en a connaissance ». © Getty Images

Qui doit garder le secret ? Dans un arrêt rendu le 3 juillet dernier, la chambre commerciale de la Cour de cassation a estimé qu’une banque créancière d’une entreprise faisant l’objet d’une conciliation, procédure dite de prévention des difficultés, a « causé un trouble manifestement illicite » en utilisant cette « information confidentielle […] pour justifier une déclaration de défaut » à la Banque de France (Cass. com., 3 juill. 2024, n° 22-24.068).

Procédure de conciliation
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Procédure de conciliation

Une déclaration de défaut à la Banque de France

Le 7 juillet 2017, un tribunal de commerce avait « arrêté un plan de cession des actifs » de la société Ora e-véhicules, « portant notamment sur un parc de plus de 6 500 véhicules faisant l’objet de contrats de crédit-bail ».

Suivant un protocole d’accord préparatoire au plan conclu 3 jours plus tôt, les crédits-bailleurs, parmi lesquels trois filiales de la Société générale, avaient cédé les véhicules à Ora e-véhicules, contre un prix payable sur 36 mois. Le 11 décembre 2019, le cessionnaire avait pu obtenir « l’ouverture d’une procédure de conciliation à laquelle [il] avait appelé tous les crédits-bailleurs ».

La Société générale avait, le 25 mai 2020, déclaré l’entreprise « en défaut à la Banque de France ». L’institution avait « dégradé le niveau de cotation de la société de 5+ à 6 dans le Fichier bancaire des entreprises (Fiben) », base de données regroupant des informations relatives aux entreprises françaises non financières. La Banque de France estimait ainsi que « la capacité de cette entreprise à honorer ses engagements sur 3 ans était passée de faible à très faible ».

L’échec de l’assignation en référé pour obtenir la main levée de l’inscription de défaut

Ora e-véhicules avait assigné la Société générale en référé, aux fins d’obtenir, sur le fondement de l’article 873 du code de procédure civile, la mainlevée de l’inscription de défaut et la réparation, à titre provisionnel, de son préjudice. Elle arguait que « cette déclaration de défaut constituait un trouble manifestement illicite », la banque ne pouvant « lui reprocher aucun arriéré ou incident de paiement ». Elle invoquait en outre « le caractère confidentiel de l’ouverture de la procédure de conciliation ».

La cour d’appel de Paris, avait, par un arrêt du 12 mai 2022, rejeté la demande de l’entreprise. Elle avait retenu que « la banque n’a[vait] pas été appelée à la procédure de conciliation mais en a[vait] été informée par le représentant légal de la société Ora e-car lui-même », rapporte la Cour de cassation. Les juges du fond avaient indiqué que « l’article L. 611-15 du code de commerce vise à conférer un caractère confidentiel aux informations qu’il couvre indépendamment des personnes qu’il cite et que c’est bien l’existence même d’une procédure de conciliation qui a fait l’objet d’un signalement, non le contenu de cette procédure ». Selon ce texte, toute personne qui est appelée à la procédure ou au mandat d’une entreprise ou qui, par ses fonctions, en a connaissance, est tenue à la confidentialité.

L’argumentation devant la Cour de cassation

À l’appui de son pourvoi en cassation, l’entreprise affirmait que le caractère confidentiel de la conciliation « s’impose tant à ceux qui y sont appelés qu’aux tiers » et que cette confidentialité touche le « banquier du débiteur, peu important que ce dernier lui en ait révélé l’existence ». Elle soutenait que ce caractère touche tant l’« existence » que le « contenu » de la procédure.

D’après Ora e-véhicules, « en décidant que la confidentialité de la procédure de conciliation ne s’attachait qu’à son contenu, à l’exclusion de sa seule existence que la Société générale aurait été en droit de révéler à la Banque de France, la cour d’appel a violé l’article L. 611-15 du code de commerce ».

Un arrêt favorable à l’entreprise en procédure de conciliation

La plus haute juridiction judiciaire donne raison à la société. La confidentialité de la procédure s’applique à la décision d’ouverture, à son existence et à son contenu, tranche la Cour de cassation, par interprétation de l’article L. 611-15 du code de commerce. Elle « est opposable à toute personne qui, par ses fonctions, en a connaissance ».

Sous le visa de l’article 873 du code de procédure civile, la Cour rappelle que le président du tribunal de commerce a la possibilité, même devant « une contestation sérieuse, [de] prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

À rebours de la cour d’appel, la juridiction suprême estime que le déclenchement d’une procédure de conciliation, « qui n’est pas l’un des signes d’absence probable de paiement par le débiteur visés à l’article 178 du règlement [UE n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013], était une information confidentielle que la Société générale ne pouvait utiliser pour justifier une déclaration de défaut, peu important que cette information lui avait été révélée par le bénéficiaire de cette procédure ». Pour la Cour de cassation, la banque avait bien « causé un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser ».

La juridiction casse donc la décision rendue en second instance. Elle décide la remise de « l’affaire et [l]es parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ».

Selon l’arrêt d’appel, l’entreprise a été mise en redressement puis en liquidation judiciaire. L’histoire ne dit pas si la déclaration de défaut a pu induire une aggravation de la situation de l’entreprise.

Une interprétation extensive de l’article L. 611-15

Au-delà de ce cas, reste le choix de la Cour de cassation en faveur d’une interprétation extensive de l’article L. 611-15 du code de commerce fixant le caractère confidentiel de la procédure de conciliation et du mandat ad hoc. Lesquels visent tous deux à la prévention des difficultés des entreprises, en aboutissant à la conclusion d’un accord amiable.

Une telle interprétation est guidée par un souci de protection des débiteurs. Elle permet de marquer une nette distinction entre d’une part, la conciliation et le mandat, d’autre part, les procédures collectives (sauvegarde ainsi que redressement et liquidation judiciaires), qui touchent l’ensemble des créanciers des entreprises concernées et sont, elles, publiques.

Extraits de textes

« Il est institué, devant le tribunal de commerce, une procédure de conciliation dont peuvent bénéficier les débiteurs exerçant une activité commerciale ou artisanale qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, et ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de 45 jours » (C. com., art. L. 611-4).

Cette procédure « est applicable, dans les mêmes conditions », devant le tribunal judiciaire, « aux personnes morales de droit privé et aux personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé » (C. com., art. L. 611-5).

« Le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d’un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés » (C. com., art. L. 611-7).

« Le président [du tribunal de commerce] peut [dans les limites de la compétence de la juridiction], et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. » (C. pr. civ., art. 873).

Timour Aggiouri

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