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Partage de la valeur au sein de l’entreprise : les apports de l'Assemblée nationale
Le projet de loi transposant l'accord national interprofessionnel (ANI) relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 29 juin. Légèrement remanié par les députés lors de son examen en séance publique, il sera prochainement discuté au Sénat.
Examiné par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 20 juin puis discuté en séance publique du 26 au 29 juin dernier, le projet de loi de transposition de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur au sein de l’entreprise, adopté en première lecture le 29 juin 2023, a été transmis dans la foulée au Sénat. La date des débats au sein de cet hémicycle n’est pas encore fixée.
Retour sur les principales modifications apportées par les députés.
L’obligation des branches de négocier sur les classifications est quelque peu renforcée
Les branches n’ayant pas procédé à l’examen de leurs classifications pour « assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et améliorer la mixité des emplois » sont invitées à ouvrir une négociation sur ce thème avant le 31 décembre 2023 (article 1er).
Les députés ont souhaité renforcer cette « invitation à négocier » :
- en ajoutant qu’à défaut d’initiative de la partie patronale, la négociation s’engage dans un délai de 15 jours à compter de la demande d’une organisation syndicale représentative dans la branche ;
- en remplaçant « l’objectif d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et de mixité d’emplois », initialement prévu, par l’emploi des verbes « assurer » et « améliorer ».
En revanche, les députés n’ont pas prévu de sanction à défaut de négociation.
Rappelons qu’un amendement a créé un article 1er bis prévoyant, pour les branches, une obligation de dresser, avant le 31 décembre 2024, un bilan de leur action en faveur de la promotion et de l’amélioration de la mixité des emplois, assorti de propositions d’actions pour améliorer l’accompagnement des entreprises dans l’atteinte de cet objectif.
Le principe de non-substitution est légalisé pour la participation
Si le principe de non-substitution à un élément de rémunération applicable à l’intéressement est bien encadré par la loi, la réglementation, la jurisprudence et l’administration, c’est nettement moins vrai pour la prime de partage de la valeur et encore moins vrai pour la participation. Les partenaires sociaux signataires de l’ANI ont souligné l’importance de ce principe en préconisant toutefois un traitement différencié selon les dispositifs.
Un amendement étend le principe de non-substitution à un élément de rémunération applicable à l’intéressement au régime de participation (article 2 A). Ainsi, en principe, les sommes versées au titre de la participation ne pourraient se substituer à aucun des éléments de rémunération versés par l’entreprise.
Si la substitution a lieu moins de 12 mois suivant la suppression ou la réduction de l’élément de rémunération, la participation pourrait être requalifié d’office en salaire par les services fiscaux et les organismes de recouvrement des cotisations sociales.
En revanche, si un délai de 12 mois s’est écoulé entre le dernier versement de cet élément et la date d’effet de l’accord de participation, les exonérations attachées au régime de participation ne seraient pas remises en cause.
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Modifications apportées à la généralisation du partage de la valeur dans les entreprises de 11 à moins de 50 salariés
Les entreprises de 11 à moins de 50 salariés, constituées sous forme de société, qui ont réalisé un bénéfice net fiscal au moins égal à 1 % de leur chiffre d’affaires pendant trois exercices consécutifs, devraient se doter d’au moins un des dispositifs légaux de partage de la valeur (participation volontaire, intéressement, prime de partage de la valeur, abondement patronal à un plan d’épargne salariale) (article 3).
L’ANI du 10 février 2023 prévoyait une entrée en vigueur de cette obligation le 1er janvier 2025.
Cette entrée en vigueur serait finalement avancée au 1er janvier 2024, provoquant l’ire du Medef qui considère que cette avancée en 2024 met les entreprises de moins de 50 salariés au pied du mur, sans aucune marge de manœuvre et sans possibilité d’activer les dispositifs dérogatoires prévus en parallèle par l’ANI.
Les députés à l’origine de cette modification jugent l’entrée en vigueur en 2025 comme une perspective trop lointaine, au vu du contexte inflationniste actuel. C’est pour cette raison que l’entrée en vigueur de cette nouvelle obligation a été avancée.
Pour vérifier la condition relative au bénéfice net fiscal, seraient donc prises en compte les années 2021, 2022 et 2023.
Les SAPO ne seraient pas assujetties à cette nouvelle obligation
Certaines sociétés anonymes à participation ouvrière (SAPO) de 11 à 49 salariés n’ont pas les moyens financiers suffisants pour verser aux salariés deux dispositifs de partage, celui correspondant aux dividendes des actions de travail et celui correspondant au nouveau dispositif de partage de la valeur. Aussi, les députés ont souhaité dispenser ces sociétés de l’obligation de mettre en place un dispositif de partage de la valeur lorsque les résultats nets des trois dernières années dépassent 1 % du chiffre d’affaires et qu’elles n’ont pas fait usage de la possibilité de verser un dividende prioritaire proportionnel au capital social aux actionnaires en capital.
Cette dérogation serait également limitée aux SAPO ayant bien versé un dividende à leurs salariés au titre de l’exercice écoulé afin que ces derniers puissent en effet bien bénéficier d’un dispositif permettant de partager de la valeur au sein de leur entreprise conformément à la volonté des partenaires sociaux signataires de l’accord national interprofessionnel.
Les particularités des entreprises de l’économie sociale et solidaire prises en considération
La plupart des entreprises de l’économie sociale et solidaire (associations, mutuelles, coopératives), de par leur activité, ne génèrent pas de bénéfice net fiscal et ne versent pas de participation. Leurs salariés ne sont donc pas associés à leur performance ; elles restent très éloignées des dispositifs de partage de la valeur.
Pour pallier ce problème, un amendement instaure, à titre expérimental (pendant cinq ans), une obligation de partage de la valeur dans de telles entreprises occupant au moins 11 salariés et qui n’ont pas de bénéfice net fiscal mais un résultat excédentaire au moins égal à 1 % de leurs recettes pendant trois exercices consécutifs (article 3 bis).
Sous réserve d’un accord de branche étendu l’autorisant, ces entreprises devront, à compter du 1er janvier 2024, mettre en place un dispositif d’intéressement, abonder un plan d’épargne salariale ou un plan d’épargne retraite d’entreprise ou bien encore verser une prime de partage de la valeur à leurs salariés.
Les entreprises disposant déjà de tels dispositifs ou d’un régime de participation ne seraient pas soumises à cette obligation.
Pas de décision unilatérale pour la mise en place d’une formule dérogatoire de la participation
Les entreprises de moins de 50 salariés, non soumises à l’obligation de mettre en place un régime de participation, pourraient mettre en place un dispositif de participation reposant sur une formule de calcul de la réserve spéciale de participation moins favorable que la formule légale :
- soit en reprenant le dispositif prévu par leur branches ;
- soit en concluant un accord de participation par accord collectif d’entreprise, par accord conclu avec le CSE ou en faisant ratifier un projet d’accord par le personnel.
Les députés ont expressément exclu le recours à la décision unilatérale de l’employeur, comme le souhaitaient les partenaires sociaux de l’ANI.
Calcul des effectifs et participationLe mode de calcul de l’effectif pour le seuil de 50 salariés obligeant les entreprises à mettre en œuvre un régime de participation a été assoupli par la loi PACTE du 22 mai 2019. Dans l’ANI du 10 février 2023, les partenaires sociaux ne demandent pas expressément la suppression des règles de franchissement de seuil favorables aux entreprises à variation d’effectif sensibles mais demandent aux services du ministère du Travail de réaliser d’ici mai 2024 un bilan de l’impact des dispositions de la loi PACTE sur ce sujet. Cette demande n’avait pas été reprise dans le projet de loi soumis aux députés. C’est désormais chose faire (article 16). |
L’augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal mieux encadré
Dans les entreprises de 50 salariés et plus, dotées d’au moins un délégué syndical et soumises à l’obligation de mettre en place un régime de participation, le projet de loi impose de négocier obligatoirement sur les conséquences d’un résultat exceptionnel de l’entreprise s’agissant du partage de la valeur. Initialement, « l’augmentation exceptionnelle du bénéfice de l’entreprise » devait être définie lors des négociations portant sur l’intéressement et la participation.
Mais dans son avis rendu en mai 2023 sur le projet de loi, le Conseil d’Etat a suggéré au gouvernement de ne pas maintenir la mesure en l’absence de critères encadrant cette négociation. Il a été entendu par les députés : cette négociation collective devrait prendre en compte des critères tels que la taille de l’entreprise, le secteur d’activité, les bénéfices réalisés lors des années précédentes ou les événements exceptionnels externes à l’entreprise intervenus antérieurement à la réalisation du bénéfice (article 5).
Légalisation de la rectification a posteriori de la participation en cas de résultats rectifiés
Selon l’article D. 3324-40 du code du travail, lorsque la déclaration des résultats d’un exercice est rectifiée par l’administration ou par le juge de l’impôt, le montant de la participation des salariés aux résultats de cet exercice fait l’objet d’un nouveau calcul, compte tenu des rectifications apportées. Le montant de la réserve est modifié en conséquence au cours de l’exercice pendant lequel les rectifications opérées par l’administration ou par le juge de l’impôt sont devenues définitives ou ont été formellement acceptées par l’entreprise.
Ce montant est majoré d’un intérêt dont le taux est égal au taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées (TMOP) publié par le ministre chargé de l’économie. Cette disposition réglementaire serait légalisée. En outre, le recalcul de la réserve spéciale de participation (RSP) jouerait également en cas de constatation d’une fraude fiscale donnant lieu à la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public.
En revanche, il reste toujours impossible pour les salariés et leurs représentants de remettre en cause le montant du bénéfice net ou des capitaux propres certifiés par le commissaire aux comptes.
Précision sur le régime social applicable au plan de partage de la valorisation de l’entreprise
Les primes issues d’un plan de partage de la valorisation de l’entreprise, versées au cours des exercices 2026, 2027 et 2028, seraient exonérées de toutes les cotisations et contributions sociales d’origine légale ou conventionnelle (parts patronales et salariales), de la contribution unique à la formation professionnelle, de la taxe d’apprentissage, de la contribution à la participation à l’effort de contribution, mais aussi, précisent les députés, de forfait social (article 7).
En revanche, elles seraient assujetties à la contribution patronale spécifique applicable en cas d’attribution gratuite d’actions.
Légalisation des critères RSE dans la formule de calcul de l’intéressement
Forte d’une stratégie, d’objectifs et d’une politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE), les entreprises sont de plus en plus nombreuses à intégrer des critères RSE dans l’intéressement de leurs salariés. Souhaitant encourager et sécuriser cette pratique, les partenaires sociaux de l’ANI avaient proposé au législateur de compléter l’article L. 3314-2 du code du travail pour y préciser que la formule de calcul de l’intéressement peut intégrer un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux.
Ce souhait n’avait initialement pas été exaucé. Mais un amendement reprend finalement cette idée (article 10 bis).
Labels ISR
Un amendement précise que la liste des labels (y compris ceux créés par l’Etat) permettant de caractériser les fonds visés par l’obligation de proposer au moins deux fonds labellisés « Investissement socialement responsable » (ISR) serait fixée par décret.
Ce décret fixerait également les critères et modalités de délivrance de ces labels (article 14).
Attribution gratuite d’actions non cotées dans un groupe de sociétés : ouverture aux mandataires des entreprises liées
Aujourd’hui, les mandataires sociaux éligibles à une attribution gratuite d’action ne peuvent se voir attribuer des actions d’une société liée (groupe de sociétés), que si les actions de cette dernière sont admises aux négociations sur un marché réglementé.
Un amendement au projet de loi permettrait l’attribution gratuite d’actions aux mandataires sociaux d’une société liée non admise sur un marché réglementé (autrement dit, à une société liée non cotée) (article 13).
Géraldine Anstett
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