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Rupture conventionnelle : conditions et effets de l'existence d'un vice du consentement de l'employeur

Si le salarié, partie à une convention de rupture, dissimule intentionnellement une information dont il sait le caractère déterminant pour l'employeur dans son consentement à la rupture du contrat, cette rupture est nulle et produit les effets d'une démission.

Rupture conventionnelle : conditions et effets de l'existence d'un vice du consentement de l'employeur
C'est la première fois que la Cour de cassation accède à la demande en nullité d'une rupture conventionnelle d'un employeur pour vice du consentement et qu'elle fait produire à cette nullité les effets d'une démission. © Getty Images

Pour signer une rupture conventionnelle homologuée, les parties au contrat de travail doivent avoir la commune intention de rompre ce contrat. Toutefois, la jurisprudence admet que l’existence d’un litige au moment de la rupture n’affecte pas la validité de la convention. De même, le consentement de chacune des parties ne doit pas avoir été vicié, c’est-à-dire qu’il doit être exempt de notion de dol, violence ou erreur, sous peine de nullité de la rupture.

Selon l’article 1137 du code civil, constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. Aussi, une rupture conventionnelle peut-elle être annulée si les conditions requises par cet article sont réunies.

Dans une affaire jugée par la Cour de cassation le 19 juin 2024, un responsable commercial signe avec son employeur une rupture conventionnelle le 20 novembre 2018.

Le contrat est rompu le 31 décembre suivant.

L’employeur demande en justice la nullité de la convention de rupture pour dol.

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Dissimuler volontairement des éléments déterminants pour l’employeur afin d’obtenir une rupture conventionnelle vicie le consentement de ce dernier…

La cour d’appel accède à sa demande. Elle juge que le salarié a bien vicié la rupture conventionnelle par des manœuvres dolosives, prononce la nullité de la rupture et le condamne au paiement de diverses sommes au titre de l’indemnité spécifique perçue à tort et de l’indemnité compensatrice de préavis. Plus concrètement, elle estime que le salarié a commis une réticence dolosive « du fait du défaut d’information volontaire […] sur le projet d’entreprise initié dans le même secteur d’activité auquel [étaient] associés deux anciens salariés », l’employeur ne s’étant déterminé qu’au regard « du seul souhait de reconversion professionnelle dans le management ».

Le salarié se pourvoit en cassation, considérant pour sa part :

  • qu’en l’absence de clause de non-concurrence, il n’était pas tenu de révéler spontanément à son employeur son projet de création d’activité concurrente et les actes préparatoires qu’il avait effectués, de sorte qu’aucune réticence dolosive ne pouvait lui être imputée ;
  • que la cour d’appel a porté une atteinte disproportionnée au principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle.

Mais la Cour de cassation, elle aussi, donne raison à l’employeur.

Elle rappelle que, selon l’article 1137 du code civil, constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.

Or, il est établi que l’employeur s’est déterminé au regard du seul souhait de reconversion professionnelle dans le management invoqué par le salarié et que le salarié avait volontairement dissimulé des éléments dont il connaissait le caractère déterminant pour l’employeur afin d’obtenir le consentement de ce dernier à la rupture conventionnelle. La cour d’appel a ainsi estimé, à raison, sans faire peser sur le salarié une obligation d’information contractuelle, ni porter atteinte à sa liberté d’entreprendre, que le consentement de l’employeur avait été vicié.

Les précédents ne sont pas légion

La cour d’appel de Metz a annulé une convention de rupture pour dol et erreur en raison de faits commis par le salarié qui auraient justifié son licenciement pour faute grave (en l’occurrence des vols de matériels) (cour d’appel de Metz, 6 mai 2013, n° 11/01105). En revanche, dans un arrêt du 11 mai 2022, la Cour de cassation a censuré une cour d’appel pour avoir annulé une rupture conventionnelle au motif que le salarié avait invoqué un projet fallacieux de reconversion professionnelle pour obtenir l’accord de l’employeur à la rupture, sans constater que ce projet avait déterminé le consentement de ce dernier (arrêt du 11 mai 2022).

Les faits pouvaient paraître plus graves car le salarié ne s’était pas contenté de dissimuler des éléments, il avait menti à son employeur, mais il n’avait pas été établi, ici, par les juges du fond, que les manœuvres du salarié avaient été déterminantes. À l’inverse le contentieux du vice du consentement du salarié est plus nourri et l’arrêt du 19 juin 2024 peut être rapproché d’un arrêt récent dans lequel la Cour de cassation a annulé une rupture conventionnelle car l’employeur avait dissimulé au salarié qu’il préparait un plan de sauvegarde de l’emploi concernant son poste au moment où la rupture avait été signée, le privant ainsi du bénéfice du plan (arrêt du 6 janvier 2021).

… et entraîne la nullité de la convention de rupture, laquelle produit les effets d’une démission

Le salarié conteste également devant la Cour de cassation les conséquences déduites par la cour d’appel de l’existence d’un vice du consentement, à savoir la nullité de la convention produisant les effets d’une démission, toute démission devant « résulter d’une manifestation de volonté claire et non équivoque ».

Mais la Cour de cassation suit là encore la cour d’appel, jugeant que « lorsque le contrat de travail est rompu en exécution d’une convention de rupture ensuite annulée en raison d’un vice du consentement de l’employeur, la rupture produit les effets d’une démission ». En l’espèce, les juges du fond ayant retenu que la dissimulation intentionnelle du salarié caractérisait un dol et que la convention de rupture était nulle ont exactement décidé que la nullité produisait les effets d’une démission.

Le salarié est ainsi définitivement condamné à rembourser à son ex-employeur l’indemnité spécifique de rupture perçue au moment de la rupture de son contrat et à verser lui verser une somme au titre de l’indemnité compensatrice de préavis.

Une décision inédite

C’est la première fois que la Cour de cassation accède à la demande en nullité d’une rupture conventionnelle d’un employeur pour vice du consentement et qu’elle fait produire à cette nullité les effets d’une démission. Elle n’avait jusqu’ici été saisie qu’une seule fois d’une telle demande mais n’y avait pas accédé (voir notre remarque ci-avant sur l’arrêt du 11 mai 2022).

Si cette solution est inédite, elle n’en est pas moins logique, puisque les Hauts magistrats jugent depuis longtemps que la nullité d’une rupture conventionnelle prononcée pour vice du consentement du salarié produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause et sérieuse.

Delphine de Saint Remy

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