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Tech For Good : l’entrepreneuriat est-il à un tournant culturel ?

L’ère de la « Tech For Good » (mettre les nouvelles technologies au service du bien commun) a plané sur le Palais des Congrès le 7 février dernier où se déroulait la 26ème Édition du Salon des entrepreneurs à Paris. Devant un parterre de jeunes créateurs en quête de réponses, les CEO invités ont brandi la quête de sens. Quid de ce nouveau phénomène ?

Tech For Good : l’entrepreneuriat est-il à un tournant culturel ?
Salon des Entrepreneurs - Crédit photo © Franck FOUCHA / Xavier MUYARD / Sébastien Ferraro / Oussama REFAS / Alissya FRANSCICO / Baptiste FERNANDEZ / Loran DHERINES

Qwant, Phénix, Blablacar, Sigfox, Epic, Techfugees… Les fiertés entrepreneuriales françaises ne cessent d’exhorter les entrepreneurs à donner sens à leurs activités. Plus que jamais, l’initiative privée s’arroge le droit de changer le monde et un véritable tournant semble pointer à l’horizon. Or, pour le meilleur et pour le pire, l’éthique est devenue un enjeu marketing, un argument de vente. Comment séparer le bon grain de l’ivraie ? Est-ce à dire que la noblesse de la cause importe autant que le business plan ?

Tech For Good : « Le monde de demain ne sera plus jamais le même »

« Il n’existe plus d’économie qui n’ait du sens ». Voici comment Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, conclut son propos liminaire et ouvre le grand débat des Change Makers. Il était attendu que ces « serials entrepreneurs » livrent les clefs de leur réussite. Surprise, ceux-ci cassent désormais les codes… en œuvrant pour le bien commun.

Symboles de ce renouveau, Jean Moreau décide en 2014 de quitter la finance américaine (et diviser par 3 son salaire) pour créer Phénix, start-up pionnière dans la réduction du gaspillage et la valorisation des déchets. En 2015, Joséphine Goube, CEO de Techfugees, bascule vers l’entrepreneuriat pour agir en faveur des réfugiés. Deux entrepreneurs à succès, issus de la génération milléniale, qui usent du libéralisme et du numérique pour servir une cause et non s’enrichir soi-même.

« L’argent va être mon contre-pouvoir. »

Véritable exemple en la matière, Alexandre Mars n’a pas attendu les millénials pour concilier entrepreneuriat et philanthropie. Il s’est évertué à créer et revendre plusieurs business pour in fine gagner son indépendance et agir pour le bien commun. « J’ai mis 20 ans à essayer d’avoir les moyens de ma liberté, concède-t-il, je savais que l’argent allait être mon contre-pouvoir ». Le fondateur d’Epic, une start-up à but non lucratif qui entend normaliser le don, l’assure : « Le monde de demain ne sera plus jamais le même ».

Un monde sur lequel avaient d’ailleurs misé Eric Léandri, créateur de Qwant, célèbre moteur de recherche français, et Frédéric Mazella, fondateur de Blablacar. Le premier entendait protéger les libertés de ses utilisateurs et le second  s’est engagé activement contre le réchauffement climatique : « Il n’existe pas de planète B ». Aujourd’hui, ils incarnent le fleuron de l’entrepreneuriat français. La quête de sens dans le business n’a paradoxalement jamais autant porté ses fruits.

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Tech For Good : gare à « la grande messe » et au « buzzword »

Ludovic Le Moan, co-fondateur de Sigfox, 1er fournisseur de solutions de connectivité dédié à l’Internet des objets, invite la communauté à se méfier de l’effet « buzzword ». Il convient d’être attentif à l’emphase : « Le sens ne doit pas être galvaudé ». Les enjeux sociaux et environnementaux sont « un vrai challenge ». Par conséquent, « Il ne faut pas attendre d’être riches et célèbres pour redonner à l’humanité », s’indigne-t-il. En même temps, Joséphine Goube s’étonne de cette tendance. « On demande à des individus de régler des échecs collectifs, ce n’est pas très responsable, regrette-elle, aujourd’hui seulement 1/3 des chômeurs pensent que l’État est la solution ». Serait-ce aux entrepreneurs de prendre en main ce qui fut jadis l’apanage des pouvoirs publics ?

« On décide avec notre carte bleue. »

De plus, si l’enjeu social ou environnemental devient une composante essentielle d’un bon produit ou d’un business model ambitieux, il ne saurait être gage de succès. Toujours pour Ludovic Le Moan, l’entrepreneur ne doit pas répondre au « chant des sirènes », il reste une « proie facile ». Et les investisseurs demeurent insensibles aux bons sentiments. À cet égard, Alexandre Mars ironise leur position. « Mon succès quand tout va bien, votre échec si tout va mal » rappelle-t-il. De même, Joséphine Goube met en garde les créateurs contre « la grande messe du Tech For Good » et l’effet « miroir aux alouettes » rattachée à l’image de l’entrepreneuriat social. Dans le milieu, les loups n’ont pas quitté la bergerie…

Toutefois, malgré ces garde-fous opportuns, il est temps pour Jean Moreau de cesser de se limiter à «  la dichotomie classique entre les licornes machine à cash et les ONG sociales ». Il existe aujourd’hui une « voie médiane ». Eric Léandri abonde et rappelle de son côté que la « Tech For Good » n’est pas un « Charity Business ». Autrement dit, qu’il ne s’agit pas ici d’une nouvelle forme de mercantilisme.

Même si du tournant au tourment culturel, il n’y a qu’un pas, tous ces grands entrepreneurs partagent la même foi en l’avenir. Après tout, comme l’a constaté Alexandre Mars, aujourd’hui plus que jamais : « on décide avec notre carte bleue ».

Matthieu Barry

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